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En octobre 2017, le municipal d’Aigle en charge de la Sécurité annonce sa démission devant la presse. Sous le coup d’une instruction pénale, le socialiste estime qu’il ne peut plus remplir sa mission. « J’ai appris que le dossier ne pouvait pas être classé rapidement. Cela pourrait même prendre plusieurs années. Je ne me voyais pas poursuivre mon mandat avec cette pression sur la tête », explique-t-il alors.
Plus de cinq ans plus tard, l’ancien élu, présumé innocent, prendra place mardi et mercredi sur le banc des accusés du Tribunal correctionnel de Vevey. Notamment poursuivi pour abus de confiance, escroquerie et faux dans les titres, il risque jusqu’à six ans de prison.
Les faits qui lui sont reprochés sont liés à ses activités professionnelles et n’ont donc rien à voir avec son mandat politique. Pour faire simple, ce conseiller financier est soupçonné d’avoir trompé une dizaine de personnes qui lui ont confié de l’argent. Le préjudice total s’élèverait à environ 3 millions de francs.
Jean-Claude Schwarz, 75 ans, est le plaignant qui a perdu le plus d’argent, plus de 650’000 francs, presque tout son deuxième pilier. « Quand je l’ai compris, je n’en ai pas dormi. J’ai eu des nuits d’insomnie. Je ne souhaite à personne de vivre ça », confie-t-il dimanche dans le 19h30 de la RTS.
Quand je l’ai compris, je n’en ai pas dormi. J’ai eu des nuits d’insomnie. Je ne souhaite à personne de vivre ça
Avant de prendre sa retraite, en 2013, cet habitant de La Chaux-de-Fonds était le directeur général de l’entreprise horlogère Festina. C’est dans ce cadre qu’il rencontre le frère du prévenu, responsable du département assurances d’une société de gestion de produits financiers.
Sur ses conseils, Festina fait affaire avec Pax, société suisse d’assurance sur la vie SA, concernant la prévoyance professionnelle de ses employés.
En juillet 2013, à l’heure de la retraite, Jean-Claude Schwarz reprend contact avec le frère du prévenu. « Je souhaitais retirer mon deuxième pilier en capital et le placer de manière sûre, façon père de famille. On ne sait jamais dans la vie, alors je voulais que cet argent soit à disposition en cas de pépin », explique-t-il.
Le frère, qui n’est pas inculpé, lui fait deux propositions, mais précise que la plus intéressante est celle de VD Prévoyance SA, une société administrée par le prévenu. « A l’origine, VD Prévoyance SA était essentiellement destinée à exercer des activités de courtage au bénéfice de la société tierce Pax société suisse d’assurance sur la vie », spécifie l’acte d’accusation. Sur plusieurs documents, VD Prévoyance SA était ainsi présentée comme une agence Pax.
Jean-Claude Schwarz choisit cette offre. Il effectue alors un versement unique de 780’000 francs, soit tout son deuxième pilier, sur le compte de VD Prévoyance SA. « Pour moi, il était évident que j’avais conclu une assurance Pax par l’intermédiaire du prévenu. Le tampon « Pax assurances » figurait sur les documents que j’avais dû signer et il était écrit « VD Prévoyance SA – Agence Pax » au-dessus de la signature du prévenu. »
Selon « le plan de prélèvement » signé par le prévenu, Jean-Claude Schwarz doit recevoir 3500 francs par mois pendant 25 ans, soit un peu plus d’un million de francs en tout. Mais les versements n’arrivent pas régulièrement. Le retraité hausse le ton dans un courriel du 9 juin 2016 adressé au prévenu dont l’adresse se termine par « @agence-pax.ch »: « Trouvez-vous normal que je doive tellement insister pour avoir un numéro de dossier chez vous et que le versement convenu mensuel de 3500 francs ne me parvient pas régulièrement et qu’en conséquence je doive le réclamer souvent. C’est inadmissible et j’attends que cette fois la situation soit éclaircie et ceci définitivement. »
Le ton est ferme, mais la situation ne s’améliore pas pour autant. En mars 2017, Jean-Claude Schwarz mandate son avocat pour réclamer au prévenu une police d’assurance en bonne et due forme, mais aussi des explications sur les attestations reçues. Le courrier reste sans réponse.
Il décide alors de contacter directement Pax assurances. Le 7 avril 2017, le responsable du centre courtiers et clients lui apprend qu’il n’est « à ce jour au bénéfice d’aucun contrat d’assurance Pax ».
Jean-Claude Schwarz tombe des nues. « J’étais sûr d’avoir signé avec Pax. Même mon testament faisait référence à mes avoirs Pax », dit-il. Le même jour, il dépose une plainte pénale à l’encontre du prévenu.
Selon l’acte d’accusation, l’ancien élu a utilisé « la vitrine commerciale » que lui offrait son partenariat avec Pax « pour amener frauduleusement plusieurs personnes à verser des fonds sur les comptes de VD Prévoyance SA sous le prétexte mensonger de les affecter à une solution d’assurance proposée par Pax société suisse d’assurance sur la vie ».
Toujours selon l’acte d’accusation, sur les 780’000 francs versés, Jean-Claude Schwarz n’a récupéré que 119’000 francs (soit 34 fois 3500 francs). Son préjudice s’élèverait ainsi à 661’000 francs.
Je ne me retrouve pas à la rue (…) mais cette somme était importante pour moi
Aux yeux du procureur, l’accusé a « consommé sans droit l’argent » du retraité en acquérant des actions d’une autre société, remboursant des dettes et des prêts, payant des frais d’avocats et des charges d’exploitation d’une de ses sociétés.
« Malgré la perte de cette somme, je ne me retrouve pas à la rue », confie Jean-Claude Schwarz. « Mais je suis quelqu’un d’angoissé. J’essaie toujours d’établir des plans, de prévenir le futur. Aujourd’hui, on peut vivre vieux. Alors, cette somme, elle était importante pour moi. »
Fabiano Citroni/boi
Jean-Claude Schwarz n’en démord pas. Pour lui, Pax assurances porte une responsabilité dans ses déboires. Le 4 juillet 2017, déjà, par l’entremise de son avocat, il propose à la compagnie une rencontre pour examiner les solutions extra-judiciaires permettant d’éviter une procédure pénale.
Il l’estime en partie responsable de la confusion dont il a été victime. Dans son courrier, il relève notamment que VD Prévoyance SA « s’intitulait jusque dans l’annuaire ‘Agence de la Pax’ et faisait usage du site internet www.agence-pax.ch ».
Un peu plus d’un mois plus tard, le 15 août 2017, dans sa réponse à l’avocat de Jean-Claude Schwarz, Pax « prend expressément ses distances vis-à-vis des activités commerciales du prévenu qui n’ont rien à voir avec les produits Pax. Pax n’en avait pas connaissance et n’a jamais donné son accord à cela. » Sans le dire explicitement, la compagnie refuse d’envisager une solution extra-judiciaire.
Cette réponse ne satisfait pas Jean-Claude Schwarz. Deux semaines plus tard, toujours par le biais de son avocat, il relance la compagnie. Dans ce courrier, l’avocat dénonce « l’évidente négligence » de la succursale lausannoise de Pax. « La permanence téléphonique de votre succursale lausannoise a souvent répondu aux questions de Monsieur Schwarz relatives à sa police d’assurance, sans indiquer que votre compagnie ne serait en fait pas concernée », relève notamment l’avocat.
Dans sa nouvelle réponse du 25 septembre 2017, Pax réfute « avoir soutenu les agissements contestés » du prévenu et ferme la porte à toute transaction. « Nous regrettons la situation désagréable de votre client que vous nous relatez, mais nous ne voyons aucune raison juridique lui ouvrant le droit à des indemnités à la charge de Pax. » La compagnie précise encore avoir elle aussi porté plainte contre le prévenu.
Une solution extra-judiciaire n’étant pas possible, Jean-Claude Schwarz attaque Pax Holding devant le Tribunal régional Jura bernois-Seeland le 18 juin 2018. Il réclame 661’000 francs, soit le montant de son deuxième pilier dilapidé par le prévenu.
Cette démarche donne lieu à trois décisions de justice. La dernière, qui est déterminante ici, remonte au 25 septembre 2020 et désavoue Jean-Claude Schwarz. Pour faire très simple, le tribunal constate que le retraité n’a pas attaqué Pax société suisse d’assurance sur la vie SA, mais Pax Holding, qui « ne figure sur aucun des documents contractuels ni aucune des correspondances échangées entre les parties et les différents intervenants ».
Pour le tribunal, Jean-Claude Schwarz n’est en outre « pas en droit de déduire des faits que Pax Holding a admis, explicitement ou implicitement, ni toléré les activités du prévenu ». La justice n’entre donc pas en matière sur la demande du plaignant.
Malgré ce revers en justice, Jean-Claude Schwarz poursuit son combat. En juin 2021, épaulé par son deuxième avocat, il réclame de nouveau 661’000 francs à la compagnie. « Pendant des années, avec votre concours, alors même que vous aviez expressément autorisé votre agent (le prévenu) à exercer d’autres activités, celui-ci a abusé de la confiance d’autrui, notamment mon client, et ce grâce à votre logo, votre papier à lettres, le partage d’une adresse à Lausanne et le partage probable de personnel », écrit l’avocat dans son courrier à Pax société suisse d’assurance sur la vie SA.
Ce courrier n’a pas connu plus de succès que les précédents. « Nous ne donnerons pas suite à votre demande de paiement. A titre de justification, nous renvoyons à l’abondante correspondance judiciaire dans cette affaire », répond ainsi Pax quelques jours plus tard.
Avocat du prévenu, Loïc Parein conteste l’infraction d’escroquerie retenue par le Ministère public à l’encontre de son client. « Mon client n’a en effet pas pu honorer le contrat passé avec le plaignant. Mais il y a des moments où une société fait face à des charges d’exploitations qui sont excessives par rapport au chiffre d’affaires et elle ne peut plus honorer ses dettes. Elle part alors en faillite. Mais ce n’est pas parce qu’il y a faillite qu’il y a infraction. »
L’avocat rappelle par ailleurs que, selon le Code pénal, pour qu’il y ait escroquerie, il faut qu’il y ait tromperie, mais aussi que cette tromperie soit astucieuse. « Mon client a une position très claire sur ce point. Il n’a pas édifié une tromperie astucieuse pour pousser ce plaignant à lui remettre de l’argent. »
Loïc Parein tient à insister sur deux points: il rappelle tout d’abord que les actes reprochés à son client ne sont pas en rapport avec ses activités politiques ni avec celles auprès d’associations. Il précise ensuite que son client a bénéficié de « quatre classements » dans ce dossier. « On peut donc être l’objet d’une plainte sans avoir commis quoi que ce soit de répréhensible. »