« Un an pour une première audience de divorce, c'est dramatique » – Le Point

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Séparation, licenciement, conflits de voisinage… Le ministre de la Justice veut réduire les délais de la « justice du quotidien ». Et « favoriser l’amiable ».
Temps de lecture : 8 min
Dix mois et demi pour un litige entre un bailleur et son propriétaire, une succession litigieuse ou une querelle de voisinage ; quinze mois pour un licenciement pour faute contesté devant les prud’hommes ; vingt et un mois pour une procédure de divorce (40 % des affaires) : tels sont les délais moyens de traitement des affaires civiles devant les tribunaux de première instance, selon les dernières statistiques disponibles au ministère de la Justice.
En appel, c’est encore pire, et on ne parlera pas de la cassation. Moins médiatique que l’activité pénale, qui défraie chaque jour la chronique judiciaire et celle des faits divers, la justice civile est le parent pauvre, le maillon faible, de la justice. « Quand je dépose une assignation en divorce devant le juge de Nanterre (Hauts-de-Seine), j’obtiens une première audience dix mois plus tard, quand ce n’est pas un an », soupire Me Michelle Dayan, spécialiste en droit de la famille.
« Autant dire que, si je défends une mère de famille qui vient de se séparer de son conjoint et n’est plus en mesure de payer seule son loyer, avec un enfant de 5 ans à charge, cette attente peut avoir des conséquences dramatiques, poursuit la praticienne. Quel montant pour la pension alimentaire ? Quels droits de visite et d’hébergement pour l’autre parent ? Où l’enfant doit-il vivre en cas de désaccord sur la résidence ? Si la situation est conflictuelle, la situation peut vite dégénérer. » Quant aux voies de recours, il faut « compter deux ans pour un examen devant la cour d’appel de Paris. Autant dire que beaucoup y renoncent », déplore-t-elle.
Et, quand l’audience est enfin fixée, les « dossiers », condensés de toute une vie, sont traités à la chaîne sans que les premiers concernés – les conjoints ou concubins – aient voix au chapitre. Forte de ses « trente ans de barre », Me Dayan refuse de « hurler avec les loups ».
« Il y a la question des moyens, qu’il faut absolument renforcer. Les qualités humaines comptent aussi beaucoup et ne se règlent pas à coups de millions. Certains magistrats font très bien leur travail, soulèvent des montagnes avec des moyens dérisoires, et je veux leur rendre hommage. D’autres, au contraire, en ont beaucoup moins envie et vous le font sentir. Comme chez les avocats, le meilleur côtoie le pire chez les juges, et il faut le dire. »
La réforme du consentement mutuel de 2017 – qui permet de divorcer sans en passer par un juge, par un acte d’avocat déposé devant notaire – était censée désengorger les stocks de dossiers en souffrance dans les cabinets des juges aux affaires familiales (JAF). Il n’en fut rien.
« D’une part, parce que le nombre de dossiers en attente était déjà très élevé. D’autre part, parce que les chambres de la famille ont souvent été dépossédées d’une partie de leurs effectifs suite à cette réforme, au profit d’autres contentieux, notamment le pénal », s’irrite un magistrat en poste dans une juridiction de l’Ouest.
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Une « justice du quotidien plus rapide et donc plus proche » : c’est l’une des ambitions du « plan d’action » dévoilé jeudi 5 janvier par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Ce projet de réforme, qui promet également de « simplifier » la procédure pénale, est le fruit des états généraux de la justice lancés l’an dernier, et qui avaient abouti à un constat sans appel : l’institution judiciaire se trouve dans un état de « délabrement avancé » et ses agents – magistrats, greffiers –, en proie à une « perte de sens » sans précédent, avait conclu le président du comité, le conseiller d’État Jean-Marc Sauvé.
Les délais de traitement des affaires civiles, celles qui touchent les Français dans leur vie de tous les jours, constituent l’une des plaies de ce service public très dégradé, et dont la situation a encore empiré durant la pandémie. Éric Dupond-Moretti ambitionne de les « diviser par deux », notamment en y mettant les moyens. Le budget de la justice devrait passer de 9,6 milliards en 2023 à près de 11 milliards en 2027. Quelque 1 500 magistrats et autant de greffiers supplémentaires devraient être embauchés dans les cinq prochaines années.
Si elle « salue » cet effort budgétaire sans précédent, Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats FO, estime que « l’argent ne fait pas tout ». D’abord, il y a ces stocks de dossiers en attente, que ne parviennent pas à écluser les tribunaux. C’est Sisyphe ou le syndrome du tonneau des Danaïdes.
« Il faut à la fois plus de magistrats et de nouvelles manières de travailler, de nouveaux process, car il est illusoire de penser que doubler le nombre de magistrats permettra de diviser les délais par deux. La justice, c’est plus compliqué que l’arithmétique. » C’est pourquoi Béatrice Brugère se dit « favorable » à l’extension des formes alternatives de règlement des litiges telles que la médiation ou la conciliation, beaucoup plus répandues chez nos voisins européens, mais aussi au Canada, et que le ministre de la Justice veut promouvoir et développer en France.
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Premier vice-président au tribunal judiciaire de Paris chargé du service des référés, Fabrice Vert est un fervent défenseur de « l’amiable », qu’il pratique « depuis des années ». En Allemagne, où l’on compte deux fois plus de magistrats que chez nous, les délais de traitement sont trois fois plus courts.
« En France, on le voit aussi sur le terrain du dialogue social, nous avons la culture du contentieux, autrement dit de la castagne, assure le magistrat. Les avocats – les “parties” ou “adversaires”, comme on dit – sont là pour en découdre, comme si, à la fin du processus judiciaire, il devait y avoir un vainqueur et un vaincu. Dans d’autres pays, on valorise la recherche d’une solution négociée ; les magistrats qui s’inscrivent dans cette démarche sont mieux notés que les autres et les avocats, mieux rémunérés. Tout le contraire du système français ! »
C’est dire si Fabrice Vert, qui se targue d’avoir fait baisser « de 600 » son stock de dossiers en souffrance l’an dernier, accueille avec intérêt les propositions du garde des Sceaux. Éric Dupond-Moretti a annoncé, jeudi matin, la mise en œuvre d’une « politique de l’amiable » visant à « favoriser une justice participative », élaborée par les justiciables eux-mêmes et leurs conseils. Un « véritable changement de logiciel », que le ministre de la Justice souhaite impulser dès le 13 janvier en réunissant « tous les acteurs [du] domaine ».
La démarche que le ministre appelle de ses vœux reposera sur deux mécanismes : la césure, qui « consiste à faire trancher par le juge le nœud du litige » afin de « traiter deux fois plus de contentieux en deux fois moins de temps », et la mise en place d’audiences de règlement amiable pour « permettre au juge d’aider les parties et leurs avocats à trouver un accord » en donnant au magistrat un rôle de conciliateur.
Avec la césure, le juge tranche la question de la responsabilité, qui met en œuvre des mécanismes juridiques souvent complexes, et laisse aux parties le soin de fixer le montant de l’indemnisation du préjudice – les indemnités de licenciement, des dommages et intérêts, etc. Le règlement amiable, dont les audiences pourraient être assurées par des magistrats honoraires ou à la retraite, consiste à réunir les personnes concernées autour d’une table et à remettre le dossier à plat.
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« Les seules fois dans ma vie où on m’a dit merci, c’est quand j’ai fait œuvre de conciliation », sourit le vice-président Vert. Il se souvient de ce dossier tentaculaire touchant au droit de la construction dans lequel 25 avocats s’empoignaient sur une série de 34 000 désordres dans une tour de 30 étages.
« J’ai ordonné une médiation et, à la fin, il ne restait que trois séries de malfaçons à régler. Sans ça, nous aurions dépensé des sommes folles en expertises et la procédure aurait duré des années. » Fabrice Vert assure que « l’amiable » fonctionne dans « à peu près toutes les affaires » : une succession compliquée, les contentieux commerciaux, une vente aux enchères contestée… « Cela demande un peu de savoir-faire et de technicité. Il faut aussi des carottes : en Allemagne, les assureurs valorisent ce mode de règlement dans les contrats de protection juridique. »
La médiation s’applique-t-elle aux divorces ? Dans certains tribunaux pilotes, les JAF exigent que les parties aient tenté un règlement alternatif de leur différend avant de se saisir du dossier. Le montant de la pension alimentaire et d’une éventuelle prestation compensatoire, les droits de visite et d’hébergement peuvent, ainsi, se négocier en dehors du cabinet du JAF, qui homologue ensuite l’accord trouvé.
« La médiation familiale est une très bonne chose, mais elle n’est pas adaptée à toutes les situations, nuance Me Dayan. Quand des violences sont alléguées, elle est exclue. Et, dans certaines situations sensibles et déséquilibrées, quand il y a un fort et un faible, elle aboutit le plus souvent à ce que le loup mange l’agneau. En tout état de cause, elle ne doit pas être un pansement sur les blessures de la justice, à défaut de moyens pour se soigner. »
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De ce point de vue, il y a de la marge, et la France part de loin : 1 % des affaires traitées par les cours et tribunaux se règlent par une médiation ou une conciliation. Au Québec, neuf affaires sur dix aboutissent à un accord trouvé en dehors de l’office du juge, qui ne fait que l’homologuer.
« Il y a encore beaucoup de résistances que le garde des Sceaux va devoir lever, prévient Fabrice Vert. Beaucoup d’avocats, mais aussi de magistrats se posent en experts du droit et n’ont aucune envie de voir le justiciable réapparaître dans les procédures. »
Un peu comme ces médecins qui préfèrent s’en remettre à une batterie d’examens plutôt que de se livrer à un examen clinique. « Or il se trouve que c’est pour le justiciable que nous sommes là. C’est d’ailleurs en leur nom que nous rendons justice », rappelle Fabrice Vert.
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On pourrait peut-être aussi :
– faire des economies en évitant les procès spectacles dont les juges, les avocats notamment rafollent,
– mieux repartir les moyens, je me souvient d’audiences civiles en Hte Loire commençant à 9h15 et se terminant à 11h10 – un petit monde de connivence – des jugements étonnants amusant beaucoup en appel.
J’ai peur que la justice rapporte à certains. Des audiences que l’on attend et des procédures longues et complexes c’est aussi un carnet de commande fourni.
Je confirme c’est scandaleux… licencié il faut un an pour passer devant un JAF et pouvoir revoir les termes d’une pension alimentaire ou un 5 mois pour une saisie en urgence pour stopper un Demenagement illégal et revoir les termes d’une garde partagée. Aucune prise en compte du rôle et de l’impact sur les pères
Pourquoi un an an pour une audience de divorce sachant que la majorité des séparations se règlent par consentement mutuel par l’intermédiaire d’avocats et d’un notaire et en conséquence ne font plus l’objet du recours au juge…
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