L’avocat au barreau de Paris Philippe Fontana revient sur la question de l’irresponsabilité de l’État en matière d’éloignement d’une personne en situation irrégulière, à l’occasion de l’indignation causée par le meurtre de Lola.
Voici sa tribune : « L’indignation légitime causée par le meurtre de Lola masque la question de l’irresponsabilité de l’État en matière d’éloignement d’un étranger en séjour irrégulier. Le gouvernement a beau jeu de rappeler que la suspecte répondra de ses actes, sans doute devant la Cour d’assises. Se drapant dans le principe de la séparation des pouvoirs, il souligne qu’il ne peut interférer avec l’autorité judicaire. Il faudra donc attendre quelques longues années avant que la famille de Lola obtienne la condamnation de la mise en cause, étrangère en situation irrégulière. En attendant, ce « fait divers » sera chassé par un autre. La défense, si elle est politiquement discutable, est juridiquement exacte. En effet, l’absence d’exécution d’une OQTF n’entraîne aucune sanction ni pour l’étranger ni pour l’autorité administrative.
D’abord, le non respect d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) n’a quasi pas de conséquences pour l’étranger destinataire. En cas d’inexécution, le préfet peut éventuellement décider d’une interdiction de retour sur le territoire français, mais cette mesure n’a aucun effet sur le maintien en France de l’étranger. La seule décision contraignante, puisque coercitive, est celle d’une OQTF assortie du placement dans un centre de rétention administrative (CRA), mais elle reste limitée, faute de places. Par ailleurs, elle est soumise à des critères limitatifs restreints : menace pour l’ordre public, refus de délivrance d’un titre de séjour pour fraude, caractère manifestement infondé d’une demande de titre de séjour ou risque de prendre la fuite. En outre, la complexité d’une procédure mixte, car administrative et judiciaire, la menace souvent d’une annulation par le juge sur le fondement d’une erreur de procédure, parfois banale.
Ensuite, car l’État jouit en pratique d’une irresponsabilité de fait dans la conduite de sa politique administrative de gestion du séjour des étrangers sur le territoire national. Ainsi, quand la famille des deux jeunes filles tuées par un islamiste à la gare Saint-Charles de Marseille, qui n’avait pas été conduit dans un centre de rétention administrative, a sollicité de la justice administrative la condamnation de l’État, elle a été déboutée. Certes, le tribunal administratif de Lyon dans sa décision du 22 janvier 2020 a reconnu des dysfonctionnements de l’État : absence de recherche de places dans un autre CRA que celui de Lyon-Saint-Exupéry et aucune autorité préfectorale joignable dans le délai de 16 heures (auparavant de 4 heures et actuellement de 20 heures), laps de temps limité pour prendre cette décision de sûreté.
En l’absence de risque préalable de trouble à l’ordre public de celui qui poignardera deux jeunes filles innocentes au cri d’un appel sacrificatoire, ou du risque de sa soustraction à une mesure d’éloignement, la décision de le placer en rétention restait une simple possibilité pour l’autorité administrative. Et en aucun cas une obligation. Le même raisonnement pourrait être appliqué à l’affaire Lola. Reste que l’État a une obligation de protection envers sa population. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé que la prévention des atteintes à l’ordre public est nécessaire à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle (décision des 19 et 20 janvier 1981 sur la loi sécurité et liberté).
Dès lors, l’indignation est facile mais restera stérile si le gouvernement n’agit pas et si l’opposition ne propose aucune alternative. Il en existe une qui faciliterait la reconduite des étrangers en situation irrégulière : le rétablissement du délit de séjour irrégulier sur le territoire national. Symptomatiquement, sa suppression par la loi du 31 décembre 2012 avait été une des premières mesures prises par François Hollande. Cela permettrait de placer a minima en garde à vue un étranger en séjour irrégulier, facilitant ainsi l’application d’une mesure d’éloignement. Reste que cette politique se heurte au choix de la commission de l’Union européenne, qui privilégie dans sa directive dite « Retour » du 16 décembre 2008 l’éloignement administratif des étrangers au détriment d’une sanction pénale. La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue le 28 avril 2011, a d’ailleurs considéré qu’une peine d’emprisonnement au seul motif d’un séjour irrégulier sur le territoire, malgré l’ordre de le quitter, est contraire à cette directive. Tout comme la Cour de Cassation qui, par un arrêt du 5 juillet 2012, avait aussi sanctionné cette politique pénale, fragilisant sa conduite.
La complexité du droit est réelle dans une matière qui gagnerait à être simplifiée pour devenir efficace et prévenir un nouveau drame. Elle appelle une réponse politique, pour surmonter ces obstacles ».