S'excuser ne suffit pas (toujours) – Philosophie magazine

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Palais de justice de Chartres (28), le 22 juin 2020. L’humoriste français Dieudonné, avant l’audience de son procès pour “propos racistes et antisémites”. Il sera condamné à 10,000 euros d’amende. © Guillaume Souvant/AFP
Dire « merci », faire une promesse, s’excuser, prononcer un couple mari et femme (dans la mesure où l’on est soi-même le maire !)… Tous ces énoncés ont un point commun : ils sont ce que dans son célèbre ouvrage Quand dire, c’est faire, le philosophe britannique John Austin nommait « performatifs ». C’est à dire qu’il suffit de les prononcer pour que l’acte qu’ils contiennent devienne effectif.
Mais alors, qu’en est-il de la récente lettre ouverte d’excuses de Dieudonné à la communauté juive ? Suffit-il de s’excuser pour l’être ?

 
« On y a recours pour des fautes graves comme pour des maladresses, lorsqu’on agit volontairement comme par simple inadvertance. Elles permettent de nous délier de notre action au moment même où nous en assumons la responsabilité. Et pourtant, certaines fois, elles ne suffisent pas. À l’occasion de la lettre de l’ancien humoriste Dieudonné à la communauté juive, je m’interroge avec le philosophe John Austin sur cet acte de langage aussi banal qu’énigmatique : les excuses.
Vous avez vu que Dieudonné a présenté ses excuses à la communauté juive ?” C’était la question qui a surgi autour de la table de la famille, l’autre soir. “Pourquoi est-ce qu’on ne les accepterait pas ? Chacun n’a-t-il pas le droit de se tromper, et en reconnaissant ses erreurs, de se racheter ? Après tout, quand nous demandons pardon, nous autres Occidentaux, pour les crimes de la colonisation, ou quand les Allemands demandent pardon pour la Shoah, qui impliquent des crimes autrement plus graves que les provocations à la haine pour lesquelles Dieudonné a été jugé et condamné, nous partons du principe que ce geste a du sens, même pour un crime, non ?”
C’est par cette interpellation et le débat assez vif qui s’est ensuivi autour de la table que j’ai appris que Dieudonné avait en effet adressé une lettre en ce sens au site Israël Magazine. “Je tiens à demander pardon, y affirme-t-il, à toutes celles et ceux que j’ai pu heurter, choquer, blesser, au travers de certaines de mes gesticulations artistiques.” Reconnaissant “outrances” et “provocations déplacées”, il précise qu’il ne cherche “aucune excuse, aucune circonstance atténuante” ; mais il demande “tout simplement pardon pour le mal que j’ai pu faire même sans le vouloir”. Rappelons, au registre des outrances, que l’humoriste, qui déclarait au lendemain des attentats de 2015 “Je suis Charlie Coulibaly” a été condamné à de très multiples reprises pour révisionnisme, antisémitisme et incitation à la haine raciale. Et souvenons-nous encore qu’il avait intitulé Mes Excuses un spectacle ouvertement antisémite, où il mettait en scène ses excuses au “peuple élu”.
Comme je l’ai indiqué dans notre débat familial, les excuses de Dieudonné me semblent inconsistantes et irrecevables en ce qu’elles sont contredites par sa volonté de s’exonérer, au plan judiciaire aussi bien que moral, de toute responsabilité. Cependant, il me semble que le refus d’accepter les excuses de Dieudonné ne doit pas être mis sur le compte de son manque de sincérité. C’est ainsi qu’on justifie, en règle générale, une fin de non-recevoir face à des excuses : “Tu n’es pas sincère, je ne te crois pas.” Or, en faisant de la psychologie, on passe à côté de la nature même des excuses, qui sont d’abord et avant tout un acte de langage.
Ainsi que l’a montré le philosophe anglais John Austin (1911-1960) dans son maître-ouvrage Quand dire, c’est faire (How to Do Things with Words, paru en 1955), il existe deux types distincts d’énoncés : les énoncés informatifs ou constatatifs, du type “l’eau est chaude”, qui se contentent de décrire un état de choses – et les énoncés performatifs (de l’anglais to perform, qui signifie “accomplir”), qui transforment la réalité. Ainsi en est-il de la promesse ou du pardon. Lorsque le maire déclare des époux mariés, sa parole suffit à faire d’eux des êtres nouveaux, mari et femme. Ces énoncés n’obéissent pas à l’alternative du vrai et du faux, leur réussite dépend des circonstances appropriées de leur énonciation ainsi que des personnes habilitées à les prononcer. Mais à chaque fois, dire la chose, c’est l’accomplir ! Et son accomplissement ne dépend pas de l’intention du locuteur. Quoi que j’en pense, que je sois sincère ou pas, lorsque je fais une promesse à un tiers, elle a eu lieu et elle m’engage – quand bien même je serais secrètement décidé à ne pas l’honorer.
Les excuses sont évidemment des énoncés performatifs. Et Austin leur a d’ailleurs consacré un plaidoyer en forme de réhabilitation sous le titre A Plea for Excuses (1956). Les excuses, soutient-il, ne sont pas destinées à effacer notre responsabilité mais à la pondérer par tout ce qui relève de l’involontaire dans notre action (maladresse, manque de tact, erreurs, inconscience, manque d’imagination, etc). C’est ce registre que vise Dieudonné en invoquant le mal qu’il a fait “sans le vouloir”. Performatives, les excuses ne sont pas pour autant accordées aussitôt qu’elles sont demandées. Austin considère d’ailleurs qu’il y a des cas où elles sont inacceptables, que les actes en question soient trop graves ou que les circonstances atténuantes invoquées soient irrecevables. Ainsi, continue-t-il, on peut s’excuser d’avoir marché par inadvertance sur un escargot… pas sur un nourrisson. En somme, la demande d’excuses est un acte performatif du même ordre que la plaidoirie d’un avocat. Elle attend de celui à qui elle est adressée un jugement en retour, qui accepte ses arguments… ou pas. À ce compte-là non plus, Dieudonné n’est pas près d’être quitte. »
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