Rétropédalage constitutionnel sur l’incapacité de recevoir une libéralité – Actu-Juridique.fr

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L’atteinte au droit de propriété, dont le droit de disposer librement de son patrimoine est un attribut, qui résulte de l’article 909, alinéa 1er, du Code civil, article dont les dispositions ont été contestées par une question prioritaire de constitutionnalité, est justifiée par un objectif d’intérêt général et proportionné à cet objectif. La solution, à saluer, n’empêche pas l’appréciation du cheminement suivi dans le domaine des incapacités de recevoir des libéralités.
Cons. const., QPC, 29 juill. 2022, no 2022-1005
La crainte n’était pas grande, malgré la difficulté de prophétiser, mais elle est levée1. Quelques mois avant la présente décision, le Conseil constitutionnel a invalidé pour l’avenir une partie de l’article L. 116-4, I, du Code de l’action sociale et des familles2, solution confortée par le passé par la Cour de cassation pour l’auxiliaire de vie à domicile3. De retour dans le Code civil, il sauve son article 909, après transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)4. Cohérence des décisions5 ou incohérence6 et insécurité juridique par une lisibilité du droit rendue fort incertaine ? Les commentaires nombreux sont partagés regrettant à l’occasion une motivation jugée légère voire lacunaire ou approuvant un raisonnement rigoureux et justifié.
La liberté de disposer est en lien avec celle de recevoir. Envisageons, d’une part, le résultat positif de l’atteinte justifiée au droit de disposer, attribut du droit de propriété (I) et, d’autre part, l’explication, à discuter, de l’interdiction sauvée (II).
Il faut d’abord présenter la limite de la conformité du texte (A) et, ensuite, l’inspiration apparente du raisonnement précédent de 2021 (B).
Affichons d’emblée le résultat pratique, à approuver7 : « L’atteinte au droit de propriété qui résulte des dispositions contestées est justifiée par un objectif d’intérêt général et proportionné à cet objectif » (pt 8). Présentes dans le code depuis 1804, faut-il souligner, les dispositions de l’article 909, alinéa 1er, sont conformes à la Constitution, ne méconnaissant aucun droit ou liberté (pt 9).
Relevons immédiatement que le Conseil semble prendre goût aux QPC sur le sujet – du moins, inciter au contentieux, non pleinement découragé – car, en limitant l’appréciation au premier alinéa (pt 1) – certes cadre de sa saisine –, donc aux professions médicales et de la pharmacie jusqu’aux auxiliaires médicaux, sans obiter dictum de sa motivation permettant une généralisation, la porte reste ouverte pour la critique des autres !
La nature de la relation avec les ministres des différents cultes conduit-elle à la même conséquence8, dans un monde matérialiste où peut être relativisée la force du traitement des âmes ? Il ne faut certes pas négliger les risques d’emprise. Surtout, ce type de relation appelle à un cloisonnement du spirituel et du matériel, comme pour les professions de santé, déjà rémunérées pour leurs services, à l’instar des organes protecteurs professionnels9.
On songe aussi aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM), personnes physiques ou morales, désignés par un juge, car l’alinéa 2 (issu L. n° 2007-308, 5 mars 2007, en vigueur le 1er janv. 2009) ne contient pas la limite temporelle du cours de la maladie puisque sont visées largement les dispositions « faites en leur faveur quelle que soit la date de la libéralité ». La brèche est néanmoins offerte aux plaideurs invétérés. Nous ne croyons pas que la mission des MJPM, rémunérée par un encadrement strict, si soucieux de déontologie, devrait les faire échapper à l’interdiction, contrairement à d’autres10. Inspiration de « proportionnalité » subjective (ou in concreto, si l’on préfère), relevons que, si la population des majeurs protégés est hétérogène, le disposant est, en fait, souvent plus âgé que jeune. La plupart du temps, le majeur protégé ne connaîtra pas le MJPM qui aura sa charge avant l’exercice de celle-ci. Et, assez fréquemment, si l’on en croit les chiffres officiels, la fin de la mesure n’est pas une mainlevée mais s’opère les « pieds devant ». Par suite, la période d’interdiction se ramène, en pratique, à la durée de la mission de protection (C. civ., art. 418) pour la majorité des hypothèses. En outre, anéantir cette interdiction pourrait conduire à s’interroger sur celle du mineur de 16 ans (C. civ., art. 904), spécialement dans ses rapports avec son tuteur, y compris post-émancipation ou majorité (C. civ., art. 907).
Au pire, on retrouvera le déplacement du contentieux sur le terrain du consentement, de son existence et ou de ses vices11, à caractériser alors plus souplement peut-être en termes d’exigence probatoire, en espérant également une appréciation moins stricte du délit d’abus de faiblesse12. Il faut bien compenser autrement la négation des réalités de terrain pour des raisons idéologiques inspirées d’une dérive onusienne sur la capacité juridique à tout prix parce que l’objectif de protection est primordial lorsqu’on doit s’occuper concrètement de personnes vulnérables (des rêves utopiques aux mains dans le cambouis).
Remarquons encore avec insistance que, sous prétexte d’une limitation de la capacité juridique de donner d’une personne vulnérable (pts 2 et 4)13, c’est en réalité l’interdiction de recevoir de certaines personnes qui est essentiellement en cause (mot évoqué, pts 2, 6 et 7)14. Le malade est parfaitement libre de donner à une personne en dehors de la liste des incapables dont on se défie par une règle de fond15, généralement désignée en doctrine par l’expression d’une présomption irréfragable de captation16.
Le bénéficiaire de la libéralité (sans obligation alimentaire envers le disposant) peut-il défendre qu’il a un droit-créance à obtenir la réalisation de son espérance et qu’il est discriminé à en être privé ? Sa situation le priverait-elle abusivement de l’obtention de cet avantage ? Si la réserve héréditaire recule, on n’ose imaginer la revendication forte d’un droit à héritage tirée de l’égalité républicaine et de la tradition nationale17. Le Conseil suivra-t-il au regard de son corpus actuel ?
Ne faudrait-il pas confier de telles appréciations à des élus techniciens plutôt qu’à des pseudo-Sages repus de grands principes ? Par parenthèse, la liberté du mariage existe mais on ne se marie pas avec un choix entièrement libertaire (C. civ., art. 161 et s.), même si le tabou s’est effacé par la « tolérance » à l’égard de futurs conjoints, anciennement membres de la belle famille, au nom de la Convention européenne des droits de l’Homme. En outre, malgré l’aptitude ou le discernement et le consentement exigé sous différents aspects (C. civ., art. 146), le mariage suppose, par principe, la majorité, dans un but protecteur qui a même conduit à la réforme du droit jusque-là en vigueur pour les filles (C. civ., art. 144).
L’inspiration était pourtant forte de la motivation précédemment utilisée en 2021. Elle paraît inspirer la démarche, avec le rappel par le législateur des limitations aux conditions d’exercice du droit de propriété (intérêt général ; proportionnalité ; objectif poursuivi) (pt 3) ; de la limitation de la capacité de malades ne pouvant disposer librement de leur patrimoine, attribut du droit de propriété subissant une atteinte légale (pt 4). L’atteinte est constituée au droit de disposer (limitation plus que privation)18. Il faut donc vérifier consécutivement si elle doit être supportée ou non. Il nous semble toutefois vain d’épiloguer outre mesure par une exégèse subtile du raisonnement emprunté. Le Conseil n’allait pas se désavouer publiquement, à quelques mois d’intervalle, d’où le masque commode de la continuité des principes et méthodes. Ne soyons pas dupes. L’habillage de la justification par le Conseil – ou telle ou telle analyse de sa motivation – cachera mal l’arbre du pur opportunisme.
Qui niera que pour nombre de personnes plus ou moins isolées, bénéficiant par leur situation de certaines prestations – aides à domicile ou à la mobilité –, qui étaient visées par l’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, la situation de faiblesse existe bien à l’égard des auxiliaires de vie, avec des risques identiques pour le patrimoine, voire un risque de maltraitance ? Certes, face à l’échéance que constitue l’approche du trépas, on peut imaginer que chacun vivra sa vulnérabilité intrinsèque et relationnelle, à la fois, avec une plus grande intensité19, d’où peut-être l’adjectif « particulière » souligné : « En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer la protection de personnes dont il a estimé que, compte tenu de leur état de santé, elles étaient placées dans une situation de particulière vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur prodiguaient des soins »20. Néanmoins, la protection avait la même ambition pour un public touché par la vulnérabilité. Il demeure que ce n’est qu’avec l’article 909 que Portalis « a ainsi poursuivi un but d’intérêt général ». Cette affirmation ne saurait surprendre21.
Il faut d’abord s’intéresser aux motifs superficiels (A) et, ensuite, rappeler la critique fondamentale occultée (B).
Ils sont tels car on passe à côté de la critique essentielle qui était présentée. Passons à la proportionnalité admise avec des constats cumulatifs. Le Conseil pense trouver une limite temporelle22 pertinente ou fait mine d’y croire : « L’interdiction contestée ne vaut que pour les libéralités consenties pendant le cours de la maladie dont le donateur ou le testateur est décédé ». Avant, les protagonistes ne se connaissent souvent pas et, si l’auteur de la libéralité est juridiquement capable et sain, il n’y a pas de vulnérabilité ; ensuite, le malade est mort ou sauvé mais, alors, il peut toujours révoquer son testament ou trouver un fondement autre pour attaquer sur le terrain du consentement. C’est la maladie mortelle qui est visée lorsqu’existe le type de relation décrite. L’argument est donc à relativiser23. Cependant, la démarche est-elle délibérée ou s’agit-il de lunettes de courte vue par un raisonnement en silo ? Dans les deux cas, le regret pourrait advenir bientôt à l’occasion d’une nouvelle QPC obligeant à se prononcer sur cet élément ou à le négliger, comme fait ici pour celui de la vérification de l’aptitude réelle pourtant nettement invoqué.
Le Conseil ajoute dans la continuité (pt 6) que l’interdiction qu’il estime ainsi circonstanciée « ne s’applique qu’aux seuls membres des professions médicales, de la pharmacie et aux auxiliaires médicaux énumérés par le code de santé publique [donc parfaitement identifiés, suppose-t-on], à la condition qu’ils aient dispensé [« prodigué » selon la loi, mais sans incidence] des soins en lien avec la maladie dont est décédé le patient ». Il s’agit d’une lapalissade24 qui rappelle en substance les conditions d’application du texte25 et implicitement l’interprétation jurisprudentielle qui en est faite, avec ses nuances. Le Conseil y trouve probablement une identification plus soutenue qu’en 2021, là satisfaisante, de ceux entrant dans la catégorie décrite, frappés par la prohibition26.
Vient l’effort de synthèse (« ainsi ») comme un service minimum un jour de grève : « Eu égard à la nature de la relation entre un professionnel de santé et son patient atteint d’une maladie dont il va décéder, l’interdiction est bien fondée sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve le donateur ou le testateur à l’égard de celui qui prodigue des soins » (pt 7). Merci ! Saluons la conclusion, plus que la méthode. La moralisation et l’honneur de ces professions à mettre à l’abri du soupçon ne sont pas à négliger par une politique législative issue de l’élection démocratique. La prévention du risque importe au-delà de la déontologie. La dissuasion donne une ligne directrice pour la protection de la vulnérabilité des sujets de droit qui peut être défendue par différents fondements dans le but de remettre en cause, en certaines circonstances, des actes juridiques, notamment à titre gratuit.
De la sorte, est complètement passé à la trappe le raisonnement qui avait retenu fortement l’attention 16 mois plus tôt, teinté de la philosophie dévastatrice du comité des droits de la convention internationale de l’Organisation des Nations unies sur le droit des personnes handicapées du 30 mars 2007. Est-ce à dire que l’on peut considérer que le Conseil a fait un pas de recul sur le sujet ? Rien ne permet d’être dans la certitude absolue. La recherche systématique de l’aptitude au détriment de l’incapacité de droit est un mouvement de fond qui fait sentir son influence dans différents pays.
Dans cette « logique », l’avocat de l’infirmière libérale légataire à titre particulier par testament olographe défendait la méconnaissance du droit de propriété en s’appuyant sur le fait que « cette interdiction, formulée de façon générale, sans que soit prise en compte la capacité de la personne malade à consentir une libéralité ni que puisse être apportée la preuve de son absence de vulnérabilité ou de dépendance, porterait atteinte à son droit de disposer librement de son patrimoine » (pt 2). L’objection n’est pas reprise27 même si la cour d’appel de Paris posait clairement la question de l’atteinte au droit de propriété « en dehors de » ou « hors » « tout constat d’inaptitude » du disposant, dans la ligne de la décision de 2021 du Conseil (pts 2, 8 et 10, à relire !)28.
Suivre une telle voie radicale, c’est exiger, en définitive (il faut aller au bout de la logique promue), la suppression de toute incapacité, y compris toutes celles de la protection juridique des majeurs29. Sus à la démagogie ! En raisonnant par l’absurde, pourquoi continuer à accorder le statut de la minorité à un enfant, statut certes voulu protecteur, mais si contraire à l’expression d’un discernement, au moins dès la préadolescence (si l’on ne remonte pas à l’âge dit « de raison »), qui possède une certaine maturité, dont il faudrait tenir compte systématiquement, non par bribes ? Il nous semble qu’il faut se garder de ces excès. S’est-on vraiment interrogé sur la situation d’un monde dans lequel le système juridique bannirait la question de la capacité-incapacité juridique30 au profit du seul consentement ou de la « capacité de fait », aptitude à émettre une volonté, pour appréhender efficacement la vulnérabilité en temps réel, concrètement et individuellement, pour tous ? Réjouissons-nous de constater que la clause de désignation ou modification bénéficiaire en assurance-vie, par laquelle la transmission patrimoniale opère souvent, qui entre dans les actes de la prohibition de l’article 909, à suivre la jurisprudence, puisse connaître également cette protection par l’incapacité de jouissance spéciale.
Conclusion. Le Conseil constitutionnel a décidé de la conformité à la Constitution de l’article 909, alinéa 1er, du Code civil. C’est heureux. Méfions-nous néanmoins de l’examen d’une future QPC pour compléter encore la démarche au nom des droits fondamentaux, entreprise de laminage des incapacités. Notaires : vigilance sur le type de relation pour le bénéficiaire de la libéralité !
Référence : AJU007a3

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