Il a mobilisé, en effet, 9 magistrats et trois avocats généraux pour juger 14 accusés – dont trois comparaissaient libres – ; 2 234 personnes se sont constituées parties civiles et 350 avocats y sont intervenus ; enfin, pour l’anecdote, le dossier comportait 570 tomes. L’audience a duré 10 mois dans une salle spécialement construite pour ce procès au cœur du palais de justice de Paris et il a été suivi par près de 150 médias français et étrangers. Pour la première fois, dans notre justice, une webradio permettait aux victimes de suivre en direct les débats.
Negar Haeri « Il faut savoir, qu’initialement, le procès n’était pas supposé durer dix mois, mais était supposé durer plusieurs mois et il se trouve que les différents covid et suspensions d’audience du fait du covid ont reporté l’issue du procès. »
Arthur Dénouveaux « Le 13 novembre, c’est évidemment du terrorisme, mais c’est surtout du terrorisme de masse. Et donc, il y a cet effet, pour les parties civiles qui est de se dire : « moi, quelle est ma place dans ce dossier surdimensionné ? Quelle est la valeur de ce que je peux apporter à la barre ? Est-ce que ça a un intérêt ? […] On a pu juger les accusés, mais on a aussi pu écouter les victimes sans que l’un ne nuise à l’autre. On a eu ces quelques semaines très centrées sur les victimes, qui étaient intéressantes pour avoir un récit polyphonique qui nourrit le récit de la société. »
Negar Haeri « Ca prend du temps et de l’énergie de donner de l’espace à la défense, de laisser la défense s’exprimer, de s’adresser à la défense avec respect. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit un procès pareil et de la même manière, laisser de l’espace aussi aux victimes, c’est quelque chose qui n’est pas si fréquent. »
Mais, le plus extraordinaire n’est pas là, il n’est contenu ni dans les chiffres, ni dans l’investissement matériel et symbolique : il est dans sa réussite ! De l’avis unanime de (presque) tous ses participants, ce procès a réussi à apporter une réponse démocratique à la barbarie ; il a montré la force de l’État de droit. En témoigne le fait qu’alors que des peines les plus graves prévues par la loi furent prononcées, personne ne fit appel.
D’où l’importance de dresser un bilan des raisons de son succès, mais aussi des fragilités, notamment de notre dispositif légal, qu’il a révélées. Quelles leçons retirer de ce procès pour les autres et pour améliorer notre justice antiterroriste ? Esprit de justice a donc réuni certains des acteurs de ce procès tels que Negar Haeri, avocate de Mohammed Amri, soupçonné d’avoir véhiculé les terroristes, et Lea Dordilly, avocate pénaliste, ancienne secrétaire de la Conférence, intervenant régulièrement en matière terroriste, qui a défendu Adel Haddadi, et Arthur Dénouveaux, survivant du Bataclan, président de l’association Life for Paris depuis 2015, auteur de Et nous nous sommes parlé (Editions de l’aube, 2022) coécrit avec Charlotte Piret, journaliste à France-Inter et Xavier Nogueras, avocat.
Arthur Dénouveaux « On parle beaucoup évidemment du respect des avocats de la défense pour les témoignages. Mais les accusés aussi ont montré un grand respect pour les témoignages des parties civiles ; certains ont rebondi dessus et je pense que ça les a humanisés. »
Negar Haeri « J’ai un client, Mohamed Amri, qui avait des difficultés d’élocution, et un problème avec l’expression. En fait, je pense que c’était une forme de timidité aussi, et au fur et à mesure de ces mois, il a pris confiance en lui. Et, effectivement, le fait de voir, à la barre, des parties civiles qui venaient s’exprimer, d’avoir un président qui lui parlait avec énormément de respect, ça l’a mis en confiance. »
Léa Dordilly « C***’est impressionnant, même pour nous qui sommes professionnelles du droit. Dans les débuts de cette audience, il y a quand même une tension extrême, une couverture médiatique extraordinaire, et aussi, tous ces dispositifs de captation audio et vidéo. Quand on entre dans la salle d’audience, la première fois est très particulière. »***
Arthur Dénouveaux « Quand on est victimes du 13 novembre, on devient une bête de foire médiatique, on devient un enjeu médiatique. […] Et évidemment, quand on est président d’association, on est très médiatique. Mais quand vous arrivez au procès et que vous n’avez jamais parlé nulle part, vous êtes une cible de choix pour tous les médias. Et donc il y a vraiment cet enjeu de savoir comment est-ce que notre parole va être retranscrite. Et en fait, elle a été retranscrite de manière assez transparente. »
Léa Dordilly « C’était une expérience unique, je pense. Ce que je voudrais dire, c’est que je regrette que ces moyens ne puissent pas être octroyés à la justice ordinaire, la justice du quotidien que nous pratiquons. Et je trouve ça vraiment dommage. Il faut aller voir ce qui se passe en comparution immédiate, au tribunal judiciaire, tous les jours, les heures auxquelles les audiences se tiennent, le temps que l’on a à consacrer à nos dossiers, pour se faire une idée, effectivement, du gouffre entre les deux façons de juger. »
Negar Haeri « Ce qui était très important, ce qui m’a beaucoup étonnée, touchée, c’est la vertu peut-être pédagogique du procès et l’importance que c’est pour des parties civiles, de venir assister à l’audience. […] Et le fait que les accusés soient vus, scrutés, soient en chair et en os, en fait, faisait que les parties civiles les comprenaient un petit peu. »
Arthur Dénouveaux « Les parties civiles ont toutes salué la qualité de la défense et des avocats de la défense. Et pourtant, les avocats de la défense font ça avec des moyens financiers et une aide juridictionnelle minimes. Et ça, c’est un sacerdoce. Quand on met des moyens aussi démesurés sur un procès, j’ai trouvé que l’on prenait un risque en payant aussi mal les avocats de la défense. »
> Morceau choisi par Arthur Dénouveaux : “ Villains of Circumstance” par le groupe Queens of the Stone Age – Album : « Villains » (2017).
> Morceau choisi par Léa Dordilly : « Suzanne« de Leonard Cohen – Album : » Songs of Leonard Cohen » (1967).
> Morceau choisi par Negar Haeri : « Sans la nommer » de Georges Moustaki – Album : « Sans la nommer » (1973).
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