Une réforme de la justice est en cours, appliquée partout en France depuis ce lundi 1ᵉʳ janvier où pour tous les crimes passibles d’une peine de 15 à 20 années de réclusion criminelle, désormais, vous n’êtes plus jugé par une cour d’assises composée de jurés populaires et de magistrats professionnels, mais vous êtes jugés uniquement par une cour criminelle départementale, une par département, composée de cinq magistrats professionnels. Ce qui change beaucoup de choses puisque par exemple, les affaires de viol, notamment sur mineur de moins de 15 ans, c’est typiquement des affaires qui ne seront plus jugées aux assises, par un jury populaire mais par une cour départementale. Qu’est-ce que ça change pour les victimes, pour les accusés et pour les Français ?
Pour en parler, Maître Romain Boulet, avocat pénaliste, président de l’Association des pénalistes de France et deux anciens jurés citoyens était l’invité de Sonia Devillers, aux côtés de deux journalistes de profession Kahina Sekkai et Charline Roux qui ont vécu l’expérience d’un jury et donc ont assisté à une cours d’assise.
Le juriste raconte que c’est un très coup porté à la conception de la justice citoyenne, à la participation des Françaises et des Français à l’action de justice. Qui plus est dans un contexte de mutations sociales où la France en aurait le plus besoin, depuis l’affaire MeToo et la multiplication des affaires d’agression sexuelles portées en justice.
Maître Romain Boulet explique comment fonctionne une cour d’assises et à quoi servent les jurés populaires : « La cour d’assises c’est la juridiction qui est chargée de juger les crimes en France et qui a cette particularité de mélanger des magistrats professionnels, au nombre de trois, et des jurés populaires, des gens tirés au sort sur les listes électorales, qui sont au nombre de six ou de neuf en fonction de la première instance ou de l’appel, et qui sont chargés de se prononcer sur la culpabilité des individus accusés de crimes et de prononcer une peine à leur encontre. » Maître Boulet déplore ainsi la disparition d’un vrai moment de pédagogie citoyenne, et une action des plus démocratiques puisque, en finalité, les citoyens ne pourront plus participer directement à l’œuvre de justice : surtout à un époque où les crimes sexuels sont absolument prégnants dans la société française depuis le mouvement MeToo. C’est sans doute le plus mauvais moment pour exclure les citoyens de ce type de débat, alors qu’aujourd’hui, tous les sondages disent que les Français se méfient de leur justice, que des émissions populistes à la TV passent leur temps à dénoncer une justice soi-disant laxiste. C’est peut-être le pire moment pour écarter les jurés.
Une réforme dont le juriste rappelle qu’elle a été votée pour des questions budgétaires et des questions de célérité, l’idée étant de réduire le coût et les délais de la justice, ce qui a suscité de grandes oppositions de la part des acteurs de la justice.
S’il reconnait que les peines sont sensiblement similaires entre les cours criminelles et les cours d’assises citoyennes, l’avocat pénaliste considère qu’il faut avant tout rester citoyen et que « c’est une mauvaise justice qui va être rendue par ces cours criminelles », en la privant d’un instrument extraordinaire, démocratique et judiciaire car plaider devant des hommes et des femmes qui ne connaissent rien à la justice, qui sont là pour la première et la dernière fois de leur vie, mais qui participent de façon citoyenne et démocratique à l’action de Justice, ça change absolument tout : « Ce n’est absolument pas la même plaidoirie. On ne plaide pas de la même façon devant des jurés populaires, des citoyens qui n’ont pas de bases juridiques que devant des magistrats professionnels, Les choses vont se dérouler de façon totalement différente. Les jurés populaires n’ont pas accès au dossier d’instruction, quand les magistrats professionnels eux si. Ils vont donc avoir tendance à aller beaucoup plus vite, à ne pas discuter contradictoirement un certain nombre d’éléments. Les magistrats vont pouvoir faire l’économie d’un certain nombre d’auditions. La façon dont la justice va être rendue, le raisonnement intime qui va permettre à des magistrats de se prononcer sur une culpabilité et sur une peine ne sera absolument pas la même que pour des jurés professionnels. D’ailleurs cette réforme aboutit à un taux d’appel plus élevé des accusés qui ont le sentiment de ne pas avoir été entendus et aussi bien jugés qu’ils l’auraient sans doute été par une cour d’assise. Cette réforme sacrifie l’oralité pour gagner du temps. On sacrifie un temps précieux consacré aux questions, aux contradictions supplémentaires qui vont surgir à l’écoute de ces témoignages citoyens« .
Kahina Sekkai et Charline Roux sont toutes les deux journalistes de profession. Chacune ont été tirées au sort et retenues comme jurés dans une cour d’assises. Cette expérience les a profondément marqués. Ça leur est tombé dessus comme n’importe quel citoyen, n’importe lequel d’entre nous. Toutes deux ont été convoquées par un courrier un an plus tôt, un an avant que l’affaire n’ait lieu pour les informer qu’elles avaient été tirées au sort, respectivement pour une affaire de meurtre et une affaire de viol sur mineur.
Charline Roux raconte comment elle a vécu cette expérience citoyenne : « Le premier jour, on arrive pour le tirage au sort. Moment où l’avocat de la défense fait récuser ou non les jurés tirés au sort. Moi je me suis retrouvée tirer au sort dans les deux additionnelles. Je pouvais participer au procès, poser des questions, suivre tout ce qui se passait, mais je n’ai pas eu le droit de participer aux délibérations. J’ai posé plein de questions au cours de l’audience. L’expérience est à la fois très étrange parce que c’est un peu traumatisant d’entendre tout ce qu’on a entendu, mais en même temps, j’ai trouvé cela extrêmement pédagogique sur la manière dont ça se déroule. Même si les témoignages sont bouleversants, voire très traumatisants, et remplie de mes engagements qui me sont personnels et avec les avis que j’ai sur ce genre de questions, j’en suis arrivée à me dire que ce n’est pas si simple de juger quelqu’un« .
Une expérience autant bouleversante que formatrice selon Kahina Sekkai qui admet « être arrivée avec des idées préconçues de la justice. Mais quand on est confrontée aux mis en cause, aux victimes, aux témoins, aux experts, cela fait appel à un sentiment de grande responsabilité parce qu’on risque d’envoyer quelqu’un en prison« .
▶︎ La suite à écouter…
L’équipe