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Reportage — Énergie
Des militants contre le projet Eacop de Total en Tanzanie, à la marche climat parisienne du 12 mars 2022. – © NnoMan Cadoret/Reporterre
Des militants contre le projet Eacop de Total en Tanzanie, à la marche climat parisienne du 12 mars 2022. – © NnoMan Cadoret/Reporterre
Durée de lecture : 6 minutes
TotalÉnergies était en procès mercredi 7 décembre à Paris. Six ONG lui reprochent de manquer à son « devoir de vigilance » dans le cadre du mégaprojet pétrolier Eacop en Afrique de l’Est. Délibéré fin février.
Paris, reportage
« Ce n’est ni plus ni moins que la survie de l’humanité qui est en jeu », résume Louis Cofflard, avocat des Amis de la Terre. La grande salle du tribunal judiciaire de Paris est pleine à craquer mercredi 7 décembre matin : une multitude de journalistes, d’universitaires et de personnalités politiques (Delphine Batho, Manon Aubry, Pierre Larrouturou…) suivent l’audience. Jamais autant de monde n’avait été présent depuis le début de cette affaire, il y a trois ans. TotalÉnergies a été assigné en justice par six ONG françaises et ougandaises qui lui reprochent un manquement à son « devoir de vigilance » dans le mégaprojet pétrolier Eacop. Cette législation les oblige à « prévenir les atteintes graves envers les droits humains, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement », via un « plan de vigilance ». Durant les trois heures de procès, les avocats des associations en ont détaillé les conséquences sociales et environnementales tandis que ceux de la multinationale se sont appuyés sur les faiblesses de la loi pour se défendre. Le délibéré sera rendu le 28 février.
Le temps presse : dans quelques semaines à peine, en janvier 2023, les forages commenceront en Ouganda. Le chantier Tilenga, ce sont 400 puits, dont 130 se trouvent en plein cœur du parc national des Murchison Falls. Cette zone de forage est le point de départ du pipeline Eacop, que la multinationale française espère bien construire jusqu’au bout de la Tanzanie. Il s’agit du plus long oléoduc chauffé du monde : 1 443 kilomètres, l’équivalent d’un Paris-Budapest. « C’est imminent. D’où l’urgence de statuer sur l’affaire », introduit Louis Cofflard. Celui-ci a saisi avec les ONG impliquées dans ce procès le juge des référés — un juge de l’urgence.
Cette audience a lieu après trois ans d’un bras de fer juridique sur une question de forme. L’enjeu était de déterminer qui, du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, était compétent pour ce dossier relevant de la loi sur le devoir de vigilance adoptée en 2017. La Cour de cassation, puis la loi sur la confiance dans l’institution judiciaire portée par le ministre Dupont-Moretti, ont tranché en faveur du tribunal judiciaire. Trois ans ont passé, l’urgence demeure : les ONG déplorent une situation toujours aussi catastrophique sur le plan humain. « 118 000 habitants sont affectés par les projets. Même si Total essaie de minimiser ce chiffre en se référant aux foyers plutôt qu’au nombre de personnes », rappelle Céline Gagey, l’avocate de Survie.
Pas moins de « 28 000 personnes » attendent encore une compensation, affirme-t-elle. Toutes ont pourtant l’obligation de restreindre l’usage de leur terre à des cultures saisonnières, plus éphémères, au lieu de cultures pérennes comme le manioc et le café, qui assuraient jusqu’ici leurs revenus. « Cette situation est dramatique pour les paysans, et l’on ne sait pas combien de temps cela va durer. Ils peuvent recevoir un avis d’évacuation qui les oblige à partir dans les trente jours à tout moment », décrit l’avocate. « Cette violation du droit de propriété entraîne des violations du droit à l’alimentation, à l’éducation… »
Les avocats soulignent des enjeux absents du plan de vigilance de la multinationale, une obligation légale depuis la loi de 2017. Un exemple : les atteintes à la liberté d’expression ne figurent pas dans les mesures de prévention des risques. Et ce, malgré les intimidations régulièrement documentées par les ONG. Reporterre avait suivi l’arrestation de l’activiste Maxwell Atuhura en mai 2021. Jelousy Mugisha, un habitant venu témoigner en France en 2019, avait aussi été arrêté dès son retour à l’aéroport de Kampala. « Depuis ce jour, ma famille est tombée dans une grande peur, nous confiait-il au téléphone quelques mois après. Moi qui ne suis jamais allé en prison depuis que je suis né. »
Les avocats des ONG demandent donc la suspension des travaux, le temps que des mesures effectives soient mises en œuvre sur le terrain. Le problème, c’est que la loi sur le devoir de vigilance ne donne « pas de précision sur les obligations de moyens ou de résultats », déplore le juge des référés lui-même. Et les débats parlementaires ou la récente résolution européenne ont apporté bien peu de réponses. « Il n’y a pas de schéma directeur, rien », continue le juge.
Les avocats des ONG rappellent le juge des référés à la nécessité de faire jurisprudence. Ceux de TotalÉnergies, eux, s’engouffrent dans la faiblesse du texte : « Si la loi est si courte, c’est pour permettre aux entreprises de déterminer au cas par cas l’action la plus appropriée », défend ainsi Ophélia Claude, l’avocate de la multinationale. « Selon nos contradicteurs, le plan de vigilance devrait tout dire, tout préciser… Mais le plan de vigilance étant un format papier, cela impose une forme de finitude ! » conclut-elle en brandissant une feuille dans la main gauche.
« L’aide alimentaire, le délai de compensation… Tout cela ne relève pas du devoir de vigilance », soutient-elle, fustigeant « l’exhaustivité » des demandes des ONG. Selon elle, cela « ne répond qu’à une seule logique : créer les conditions dans lesquelles les entreprises seraient systématiquement et perpétuellement en contradiction avec la loi ».
« L’objet de ce contentieux, ce n’est pas le plan de vigilance. On veut en faire le procès de TotalÉnergies, le procès de la pollution, le procès du risque climat ! On veut en faire tout, sauf l’analyse fine de la loi », complète Antonin Lévy, le second avocat de TotalÉnergies, avec grandiloquence. La major est devenue « le fer de lance des multinationales » pour faire de ce plan de vigilance une simple « obligation de reporting », regrette quant à lui Louis Cofflard, l’avocat des Amis de la Terre. Les grandes entreprises entrant dans le périmètre du devoir de vigilance « essaient de détricoter cette loi, même après son adoption », dit Juliette Renaud, chargée de la régulation des multinationales aux Amis de la Terre, à la sortie de l’audience. Pour elle, ces circonvolutions théoriques n’ont pas lieu d’être : « Le juge peut définir des mesures effectives. Nous avons des demandes très précises : la distribution d’une aide alimentaire, la révision du taux de compensation, de meilleures consultations des populations… »
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