Me Raphaël Kempf est l’un des avocats de l’accusé Yassine Atar, petit frère du commanditaire présumé des attentats du 13-Novembre. Me Kempf va plaider l’acquittement ce lundi, convaincu de l’innocence de l’homme qu’il défend. Portrait d’un avocat brillant et engagé.
“Oui, monsieur l’instituteur !”, rétorqua soudain Me Raphaël Kempf au président de la Cour d’assises spécialement composée, avec insolence. C’était un après-midi d’avril en cette année 2022. Le jeune avocat aux lunettes rondes BCBG était en train de questionner une enquêtrice belge, retranchée derrière son anonymat et un écran en visio. Me Kempf s’énervait de plus en plus face aux réponses floues de la policière bruxelloise. On sentait sa colère grimper. Et le président Périès finit par demander au jeune ténor du barreau de changer de ton. Et du tac-au-tac, Raphaël Kempf fit donc cette réplique au magistrat à robe rouge, qui n’en revint pas. Me Kempf, le rebelle, n’en était pas à sa première irrévérence.
Sur la trentaine de robes noires assises sur les bancs de la défense, en neuf mois de procès, il est celui qui est apparu souvent comme le plus révolté. Mais ça l’agace profondément qu’on dise cela de lui. Il sourit, passe la main dans ses cheveux en bataille et rectifie : « Est-ce qu’être révolté, c’est exiger l’application et le respect des droits fondamentaux en toutes circonstances ? Je regrette qu’il faille cet adjectif de révolté pour ce qui consiste uniquement à demander l’application du droit”.
A ce procès des attentats du 13-Novembre, Me Kempf défend l’accusé Yassine Atar, petit frère du commanditaire présumé des attentats. Une défense en binôme avec Me Christian Saint-Palais, éminent pénaliste, qui était déjà sur les bancs de la défense au procès des attentats de janvier 2015. Pour Raphaël Kempf, en revanche, ce sont les premières assises terroristes. Ce qui ne l’a pas spécialement intimidé.
Jamais empêché de se lever pour ferrailler fermement face à la cour, tempêter contre ces enquêteurs belges qui ont préféré témoigner à distance, ou carrément bouder l’audience, à son grand dam. Ces enquêteurs bruxellois qui ont accablé son client avant le procès ; à l’audience, les preuves sont apparues fort ténues. “Des hypothèses d’enquête et des coïncidences, pas des preuves !”, s’indigne l’avocat. Dans son box, Yassine Atar n’a cessé de clamer son innocence. Et Me Kempf se lèvera aujourd’hui pour plaider l’acquittement, “pour un homme innocent”. Il est son avocat depuis quatre ans. Un avocat très investi.
Mais Raphaël Kempf confie qu’il a pourtant bien failli ne jamais passer le concours du barreau. Ce brillant pénaliste de 37 ans affirme qu’il porte la robe un peu par hasard. Il s’est longtemps rêvé chercheur à l’université. Il a grandi dans une famille où le débat d’idées bouillonnait. Un père journaliste engagé pour l’environnement – qui a créé Reporterre. Une mère maquettiste. Il est l’aîné d’une fratrie de cinq, deux petits frères et deux petites sœurs. Enfance et adolescence heureuses dans l’est parisien.
Puis l’inscription en fac de droit, Paris 1 et Nanterre en droit international, économique et droits de l’homme. Parallèlement, il étudie l’arabe à La Sorbonne et à l’INALCO. Le jeune étudiant a la bougeotte et le souci des autres. Il est un militant de la première heure. Milite au GENEPI -Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées. A 20 ans, le voilà parti au Burkina Faso. Il passe un mois d’été à visiter les prisons, “j’avais trouvé une mobylette pour aller d’un établissement à l’autre, quand c’était trop loin de Ouagadougou je prenais le bus, là-bas, pas de cantine, ce sont les familles qui apportent la nourriture aux détenus. J’avais envie de voyager, de voir des trucs”.
Quelques années plus tard, il veut découvrir la Palestine. Il fait un stage dans une ONG palestinienne à Haïfa, dans le nord d’Israël. C’est au retour qu’il se passionne pour la culture arabe. Il obtiendra une bourse du gouvernement français pour se perfectionner dans une première école du Caire, puis une deuxième. “Je me demande d’ailleurs si le PNAT ne la qualifierait pas d’école coranique !”, plaisante-t-il. Le parquet national antiterroriste est devenu suspicieux envers ces écoles égyptiennes, quelques djihadistes français y étant passés – dont les frères Clain, d’ailleurs accusés à ce procès des attentats du 13-Novembre, accusés présumés morts en Syrie. Mais Me Kempf n’a croisé ni les Clain ni Abdelkhader Merah dans les écoles qu’il a fréquentées. Il souligne qu’il y a “une poésie ante- islamique et une culture arabe qui se détache de l’islam, même si le Coran a aussi fixé certaines normes linguistiques”. Il regrette les raccourcis autour de l’islam, car “la langue arabe et religion ont une histoire commune”.
En Egypte, Kempf l’étudiant juriste arabisant fait un stage chez un avocat, Me Khaled Ali. Un homme qui se battait pour les droits fondamentaux sous la dictature de Moubarak, se démenait pour des ouvriers d’usine ou des paysans qui devaient être expropriés. “Ces paysans ont obtenu gain de cause devant l’équivalent du Conseil d’Etat égyptien, et ce qui est fascinant, c’est que les sources du droit pour les juges étaient la jurisprudence française d’une part, et la charia d’autre part”, explique Me Kempf. “A ce procès, quand on entend le mot charia on dit vous êtes un islamiste, etc. Mais moi ce que j’ai constaté, c’est que la justice égyptienne se réfère à des normes de droit issues de la charia pour y trouver des solutions juridiques, en faveur de paysans qui risquaient l’expulsion. La charia ne se résume pas seulement à couper la main des voleurs !”, souligne-t-il.
Quelques semaines après la fin de ce stage en 2010, Me Kempf rentre à Paris, mais la révolution égyptienne ne tarde pas éclater. Le Monde Diplomatique, pour qui il a écrit quelques années plus tôt un article, lui propose de partir couvrir cette révolte. Il saute dans l’avion le cœur battant. “L’avion était vide, tous les expatriés rentraient à Paris, mais pour moi c’était l’un des plus beaux jours de ma vie, être témoin d’une révolution qui allait faire tomber un dictateur”.
Puis, c’est l’école du barreau. La prestation de serment en 2013. Il devient le collaborateur de Me Marie Dosé, qui dit de lui qu’il est “très bel avocat, excellent juriste”. En 2016, il ouvre son propre cabinet. Deux ans plus tard, Yassine Atar le contacte. Il venait d’arriver de Belgique, incarcéré. Me Kempf ressent alors “un mélange d’anxiété et d’excitation, on ne va pas se mentir, c’est une des dimensions du métier d’avocat”. Les années d’instruction lui semblent éprouvantes. Il s’insurge que les juges mettent un an avant d’entendre son client. « C’est frappant parce que dans ce procès, beaucoup se sont plaints que certains des accusés fassent le choix de garder le silence. Là, avec Yassine Atar, dès 2018, on avait un homme qui voulait s’expliquer, dire des choses”.
Me Kempf a l’impression que “les interrogatoires ne sont pas là pour voir ce que l’accusé à à dire, le prendre en considération et vérifier la véracité mais confirmer les hypothèses préétablies”, et ça le révolte. Il aurait voulu ne jamais atterrir sur les bancs de la défense de ce procès, espérait obtenir un non-lieu pour Yassine Atar, alias l’accusé pipelette. Mais Yassine Atar risque la réclusion criminelle à perpétuité ; le parquet national anti-terroriste a requis contre lui neuf ans de prison.
Les avocats généraux estiment « qu’il est impossible de dire qu’il est étranger à l’idéologie radicale » et « qu’il n’est pas la victime expiatoire d’un système judiciaire aux abois aveuglé par son patronyme ». Et Me Kempf de déclarer que “c’est extrêmement grave d’avoir en prison un innocent sur la base de ce dossier, sur la base de lois antiterroristes qui permettent tout et n’importe quoi”. Il estime que son client est “une victime des lois antiterroristes qui permettent une répression féroce sans qu’on examine avec suffisamment de précision les charges contre les personnes”.
Raphaël Kempf a écrit des livres pour dénoncer ces lois. En 2019, paraît son deuxième bouquin : “Ennemis d’État. Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes”. Le premier, dix ans plus tôt, s’intitulait : “L’Organisation mondiale du commerce face au changement climatique”. Me Kempf souligne qu’il “a appris son métier en collectif et pour des raisons politiques”. Il a beaucoup plaidé avec un collectif d’avocats “anti-répression.” Parmi ses dossiers marquants, dans le désordre : l’affaire du quai de Valmy en 2016, des histoires de manifestants, d’activistes et de gilets jaunes, ou encore Eric Lang, un Français tué dans un commissariat de police en Egypte en 2013.
Et puis pas mal de dossiers d’Etat d’urgence et de violences policières. Il est aussi l’avocat du député La France Insoumise, Ugo Bernalicis. Ces derniers jours, Me Kempf s’indignait contre la police. Il publiait un tweet dans lequel il estimait que Bernard Cazeneuve, ex-ministre de l’Intérieur, “devrait avoir sur la conscience le décès” d’une passagère tuée par un tir de police. Me Kempf s’insurge contre cette loi de 2017 qui autorise les policiers à tirer sur un véhicule en fuite.
Au procès des attentats du 13-Novembre, le moment qui a le plus marqué l’avocat, ce sont les bruits des tirs de kalachnikovs enregistrés par le dictaphone d’un survivant du Bataclan. Cette bande-audio, en partie diffusée à l’audience en avril dernier, l’a profondément touché, “ces bruits de tirs, puis de stupeur, d’effroi et de chaos, c’était glaçant”.
Mais il pense sincèrement que l’homme qu’il défend, Yassine Atar, n’est pas lié à ce massacre. Cet après-midi, Me Kempf se lèvera pour plaider l’acquittement. Le ventre noué. « Évidemment c’est angoissant, évidemment j’aurai mal au ventre, mais comme n’importe quelle fois où je me lève pour plaider l’acquittement ! Il y a une angoisse terrible à se lever en se disant qu’on ne va peut-être pas réussir à convaincre que Yassine Atar doit être acquitté.” Pour préparer sa plaidoirie, Raphaël Kempf a relu “Les impressionnistes” de Félix Fénéon, anarchiste poursuivi pour association de malfaiteurs. Après le verdict, quand arrivera le mois de juillet, Me Raphaël Kempf reprendra sa plume pour achever son prochain livre, prévu pour la rentrée de septembre. Un livre sur les violences judiciaires.
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Références