Oui, à la base, c’est une banale affaire de pratique commerciale trompeuse. Maître Morain défend un avocat, comme lui, qui aurait participé aux activités d’une société qui démarchait des petits entrepreneurs pour leur donner de la visibilité sur Internet. Mais les contrats proposés ressemblaient tellement à des documents officiels que certains clients ont estimé avoir été trompés. La procureure sort le grand jeu : « on est en pleine délinquance astucieuse, c’est la parfaite arnaque », s’emporte-t-elle en épluchant une à une les pièces du dossier. « Y’a encore un truc qui est vachement bien » jubile-t-elle en brandissant un fax selon elle accablant : « ça, c’est le pompon ! ». Et elle requiert des peines exemplaires : 2 ans de prison dont un an ferme.
Sur le banc de la défense, l’avocat fait la grimace, proteste du regard, fulmine contre la procureure, puis, comme au premier jour, se lève pour plaider la relaxe, une toute dernière fois. Calmement, Maître Morain affirme que les faits ne sont pas constitués, demande au tribunal de trouver un peu de mesure. Et, s’excusant de cette petite incise personnelle, confie son immense plaisir d’avoir été à la place qui est la sienne. « On m’a toujours dit qu’il ne fallait jamais faire ça mais je voudrais remercier le tribunal, et à travers vous, tous les magistrats et les greffiers qui ont une tâche si difficile. Je vous souhaite bon courage pour réparer la justice, pour colmater un système qui ne va pas bien. Vous prenez le temps de juger, de rendre des décisions compréhensibles. Continuez de prendre soin des justiciables. Et prenez soin de vous. » Plus tôt dans cette audience, l’avocat en partie civile lui avait transmis l’amitié de tout le barreau de Paris, avait rendu hommage à un « homme simple, brillant, amoureux de la vie et du bon vin ». Avant d’ajouter avec malice qu’il pouvait quand même terminer sa carrière sur une défaite.
Si Eric Morain a raccroché la robe hier soir, ce n’est pas pour une paisible retraite, il en est loin, mais parce qu’il se sent à bout de souffle dans cette justice qui n’a pas les moyens de ses ambitions. Dans un message qu’il a rendu public à la fin de l’été, il a raconté ce qu’on appelle désormais « la grande démission », ce point de bascule, écrit-il, « ce moment où vous vous dîtes que si vous ne partez pas maintenant, vous le paierez cher le lendemain. J’ai profondément aimé ce métier, mais il dévore la vie personnelle et familiale ». Puis il a évoqué « les non-réformes » de la justice « toujours plus déconsidérantes, un système grippé, rouillé, gangréné, bloqué. Je n’ai pas choisi ce métier pour cet effondrement qui vient. » Enfin, il a conseillé à ses confrères et consœurs de « continuer de croire aux matins » sans jamais oublier le bonheur, « même s’il est plus difficile, comme disait Camus ». Hier soir, la présidente de cette 31è chambre correctionnelle a rendu hommage à Maître Morain et à son humanité. L’avocat a chialé. L’audience était levée.
Vous retrouverez Eric Morain, l’avocat gourmet, autour de la table d’On Va Déguster le 1er janvier avec François-Régis Gaudry sur France Inter
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