« Pas de religion en dehors de la raison » : Richard Malka sort … – Le Journal du dimanche

L’avocat de Charlie Hebdo clôt la trilogie de ses plaidoiries avec un cours de théologie musulmane, dans son nouveau livre, Traité sur l’intolérance.
Dans son bureau d’avocat, entre la quatrième et la cinquième minute, il demandera s’il peut fumer. On s’interroge alors sur ce qu’il inhale en plus de la fumée de ses cigarettes : un espoir de paix intérieure. Tout a été dit de son apparence physique. Ses habits noirs, son goût du gothique, son sourire affiché. Plus il descend en lui, plus le sourire disparaît. Les phrases se transforment en mots et les mots en silences. Il sera troublé seulement une fois, en parlant de la mort de son père. L’avocat Richard Malka a grandi dans une famille juive marocaine du 11e arrondissement de Paris. Un père tailleur pour dames ; une mère femme au foyer. Un modeste appartement, un clan aimant. Richard Malka est né en 1968. Il est le benjamin d’une fratrie de trois garçons. Le père travaille toute la journée sur sa machine à coudre dans un petit atelier de confection du boulevard Montmartre à Paris. Il conçoit des manteaux pour dame. On s’y enveloppe par froidure. Les parents se sacrifient tellement pour le bien-être de leurs trois fils qu’il n’y a pas d’autre solution pour eux que de réussir.

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Grâce à la laïcité, je suis redevable à la République. On s’est cultivés et dépassés en regardant Apostrophes et Le Grand Échiquier ; en ­obtenant des bourses de la République ; en se rendant à la bibliothèque
 
Les parents venus du Maroc, naturalisés, sont d’une culture et d’une religion différentes du pays d’accueil. Richard Malka se sent à la fois français, juif, arabe. Les trois garçons sont élevés dans un judaïsme décontracté. Les cultures juive et arabe sont présentes au quotidien. Les parents parlaient arabe entre eux quand ils ne souhaitaient pas que les trois garçons comprennent ce qu’ils étaient en train de se dire. L’avocat cultive un rapport méditerranéen aux autres : contact tactile, chaleur humaine, amour de la vie, tutoiement facile. Son environnement immédiat se trouvait alors réduit à ses parents et à ses deux frères aînés. Les autres membres de sa famille habitaient tous en Israël. Le benjamin devient le moins discipliné de la fratrie. Devant son attitude à l’école, le professeur de mathématiques constate : « C’est la dévaluation des Malka. » Dans le petit appartement familial, la soif de s’élever ressemble à une simple politesse. Richard Malka : « Grâce à la laïcité, je suis redevable à la République. On s’est cultivés et dépassés en regardant Apostrophes et Le Grand Échiquier ; en ­obtenant des bourses de la République ; en se rendant à la bibliothèque. Je n’éprouve aucun sentiment de vengeance car toute haine est vaine. Il faut être dans la nuance, rejeter les extrêmes. »

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Richard Malka est resté un garçon joyeux, angoissé, perfectionniste, orgueilleux. Il a réussi à faire d’un fort complexe social un moteur de réussite à vie. « La culpabilité est le calvaire des enfants de bourgeois. Elle est un instrument de destruction massive de la pensée car elle fait mal réfléchir. La culpabilité est une arme utilisée par les ennemis de l’État de droit et de la démocratie. » Nous sommes en 1992. Richard Malka entre, à 23 ans, dans le cabinet de Georges Kiejman. Ils sont deux séducteurs, deux joueurs. « Georges Kiejman est pour moi un mentor, un père, un modèle. Il représente le talent, la réussite, l’élégance. Une flamme allumée que j’ai essayé de suivre tout au long de ma carrière et même dans ma vie. » Richard Malka se retrouve chargé du dossier Charlie Hebdo, lors de la relance du titre en 1992. « Il y a eu une rencontre entre ma mission professionnelle et mon histoire personnelle. Une harmonie entre les combats que j’épousais et ce que j’étais profondément. » Tout est donc posé avant 25 ans : le début de son long compagnonnage avec le journal satirique ; les valeurs de laïcité, de liberté d’expression, ­d’universalisme comme un hommage à ses parents ; le souhait de ne pas avoir d’enfants et de ne pas se marier, au grand désespoir de sa mère. « Je ne me pose pas la question du regard des autres. Je vis comme j’ai envie de vivre et on prend ou l’on ne prend pas. On n’appartient qu’à soi. On n’appartient ni à une communauté ni à ses parents. » Richard Malka ne déviera pas de sa ligne de conduite. Il crée son propre cabinet en 1999.

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Je peux avoir une trop grande distance au monde, c’est compliqué à gérer pour mon entourage
 
L’auteur du Voleur d’amour (Grasset, 2021) avoue se livrer à l’autoanalyse uniquement dans ses fictions. Romans, bandes dessinées, science-fiction. « Ils sont nécessaires à mon équilibre. J’ai besoin de me réfugier dans l’imaginaire et de mettre mon cerveau sur pause. » Il y affronte ses fantasmes et ses noirceurs. L’homme se sait solitaire, égocentrique, lointain. « Je peux avoir une trop grande distance au monde, c’est compliqué à gérer pour mon entourage. » Tout s’est soudainement accentué, avec les attentats de Charlie Hebdo de janvier 2015. Richard Malka vit depuis sous protection policière. L’avocat avait arrêté de faire du pénal dur pour se protéger de la dureté du monde. La souffrance des parloirs en prison, les lourdes condamnations pénales, l’agressivité des clients. L’homme a toujours cherché à instaurer un maximum de distance psychologique entre lui et la source d’angoisse. « La vie nous place en face de ce que nous n’avons pas encore réglé. Je me suis construit de telle manière à accorder de l’importance à ce que je fais et non à ce que je suis. J’ai décidé de défendre des causes plutôt que des hommes. La tragédie m’a rattrapé. » Richard Malka défendra des causes et des hommes. Il ne cessera d’être confronté à ses propres émotions.
Le métier d’avocat est un combat. Il a renoncé à en expliquer les ressorts à un public avide de moraline. Richard Malka a été notamment le défenseur de ­Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire du Carlton de Lille ; de la crèche Baby Loup avec licenciement d’une salariée voilée ; de la société Clearstream contre le journaliste Denis Robert ; du ­Premier ministre Manuel Valls face à Dieudonné ; de l’adolescente Mila, victime de harcèlement sur les réseaux sociaux pour avoir critiqué l’islam. La réalité du métier est toujours la même. « Je défends la part d’humanité en l’autre. Regarder ce qu’il y a de meilleur en l’autre incite l’autre à donner ce qu’il y a de meilleur en lui. »

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Lire aussi – TRIBUNE. L’avocat Richard Malka : « L’affaire Mila ou le triomphe de la peur »
L’avocat Richard Malka est présent auprès de Charlie Hebdo depuis la relance de 1992. Il a défendu le journal satirique lors de l’affaire des caricatures de Mahomet en 2007. Chacune de ses plaidoiries a été publiée sous forme écrite. Éloge de l’irrévérence, avec Georges Kiejman (Grasset, 2019) ; Le Droit d’emmerder Dieu (­Grasset, 2021). Traité sur ­l’intolérance marque la fin de la trilogie sur le droit au blasphème et à la caricature. Tout est ciselé. « Dans une plaidoirie réussie, le talent ne peut pas remplacer le travail. » Le procès en appel des attentats de janvier 2015, dans la salle ­Voltaire de la cour d’assises de Paris, a représenté pour Richard Malka le bout du bout du chemin. Six semaines d’assises d’une immense dureté. « Je me suis tout pris en pleine face. J’avais l’impression de traverser la Vallée des morts du matin au soir. Je marchais entre les morts. J’ai mis du temps à m’en remettre, plus que pour le premier procès. J’ai accompli tout ce que je pouvais accomplir. Je ne peux pas faire plus. »
Traité sur l’intolérance est un cours de théologie musulmane d’une grande clarté. « Je me suis positionné comme un passeur d’éléments de connaissance réunis par des intellectuels, des théologiens. » Richard Malka raconte comment différentes versions de l’islam cheminent depuis des siècles. Dans la lutte entre l’islam des ténèbres et l’islam des lumières, la version la plus radicale n’a eu de cesse de gagner. « Il faut lutter par la connaissance. Il ne peut pas y avoir de religion en dehors de la raison. Le doute et le savoir sont essentiels. La raison doit être placée au-dessus de tout. Sinon on tombe dans l’idolâtrie, l’obscurantisme, l’obéissance, la violence. »
Avant chacune des trois plaidoiries de Charlie Hebdo, Richard Malka a souffert d’une hernie discale au point de ne plus pouvoir marcher. La veille de la deuxième plaidoirie, il s’est rendu à l’hôpital pour une piqûre dans la colonne vertébrale afin d’arriver à tenir debout. L’avocat Richard Malka est à la fois lui et pas lui lorsqu’il plaide. « Il existe des sentiments que j’exprime uniquement dans une salle d’audience : la colère, la violence, la dureté. L’éloquence n’est pas le problème. Il ne s’agit pas d’aisance oratoire, d’art rhétorique, mais de sincérité. Il faut y aller avec ses tripes. La première valeur est le courage intellectuel. » L’homme de gauche n’est plus à gauche car son camp a manqué de courage dans la défense des libertés opprimées. « Je suis à gauche mais je suis, parfois, tout seul à gauche. Ma gauche a disparu en représentation politique. Elle était la gauche universaliste, laïque, libertaire. Elle s’est éradiquée elle-même. » Il n’en reste même pas un tas de braises sur lequel on pourrait souffler.
Il s’agit d’un lynchage par un tribunal populaire. Les réseaux sociaux n’ont pas à faire la loi. Bastien Vivès n’avait jamais été poursuivi
 
On rencontre Richard Malka au début de l’affaire Bastien Vivès avant qu’une association ne décide de porter plainte. Le dessinateur de bandes dessinées, dont œuvres et propos sont accusés de faire entre autres l’apologie de la pédophilie, a vu l’exposition prévue au festival d’Angoulême annulée. « Il s’agit d’un lynchage par un tribunal populaire. Les réseaux sociaux n’ont pas à faire la loi. Bastien Vivès n’avait jamais été poursuivi. On ne connaît pas le contenu de son exposition et elle est aussitôt annulée. J’ai l’impression d’être parmi les derniers à qui cela pose un problème en matière de liberté de création et d’État de droit. On détruit des vies par des procès en sorcellerie. Ceux qui le font se pensent du côté du bien donc inutile de réfléchir, de se poser des questions, de douter. Comme si l’art n’était pas le lieu où interroger la part d’obscurité que possède chaque homme en lui. L’art existe pour faire de l’obscurité quelque chose qui fait réfléchir et non que l’on nie. »
Richard Malka se dit sans illusion sur la nature humaine. « Notre cœur est fait de beaucoup de détritus. » Il juge pourtant terrifiantes les déferlantes de haine sur les réseaux sociaux dont font l’objet certains de ses amis et de ses ennemis. « Je n’arrive parfois même pas à lire, tant j’ai mal pour eux. Je recommande de ne pas y aller, de ne pas regarder. Personne ne peut supporter une telle haine. Ceux qui en font l’objet pensent être blindés, mais ils ne le sont pas. On perd sa capacité à raisonner objectivement et on peut alors déraper. La haine a trouvé avec Twitter un moyen d’expression qui n’existait pas et qui est en train de donner la tonalité de l’époque. On vit merveilleusement bien sans savoir ce qui se passe sur les réseaux sociaux. » Face à la peur, les deux réflexes les plus communs sont la violence et la soumission. Deux réactions humaines, mais aussi mauvaises l’une que l’autre. Richard Malka croit heureusement en la notion de majorité silencieuse.
Nous sommes par un matin d’hiver glacial. Les cigarettes se consument les unes après les autres. Richard Malka note la fracture générationnelle. « On n’a pas su transmettre nos convictions car on les croyait acquises. J’ai l’impression d’avoir perdu la partie, pour toutes mes valeurs : la liberté d’expression, la laïcité, l’universalisme, la vision de l’islam, le savoir-vivre ensemble. Mais seul le combat importe et il est d’autant plus nécessaire que les libertés reculent. On plante des graines pour l’avenir. Il y aura un retour de balancier un jour. Il faut se battre pour que le temps de l’obscurité soit le plus court possible et que l’amour des libertés renaisse. » Comme dans la tradition russe, l’avocat pense que l’homme préfère l’esclavage à la liberté. « La liberté est inconfortable et elle n’est pas nécessaire pour vivre. L’homme a trois besoins primaires : la sécurité, la nourriture, la reproduction. En URSS, le taux de natalité a chuté en 1989 quand le pays est passé à un régime plus libéral. On renonce à nos libertés en un battement de cils. On l’a vu durant le Covid. La liberté n’est jamais acquise. Les hommes ont besoin d’être rassurés par des idéologies, des contraintes, des commandements, des communautés, des groupes. Être libre, c’est être seul. La liberté rend pourtant la vie tellement plus riche. »
Lire aussi – TRIBUNE. Richard Malka : « Le droit de tout ­savoir est une chasse à courre obscène »
Richard Malka s’ennuie vite. Pour bien vivre, il a besoin de liberté, d’amour, de combats. Quand on l’interroge sur la mort du père, la digue des mots se rompt un court moment. Il dit : « Je ne sais pas à quel niveau la situer. C’est compliqué. Je fuis l’idée de la mort. L’âge où je vais devoir m’y confronter se rapproche. » Les douleurs professionnelles lui semblent plus faciles à appréhender que les douleurs personnelles. L’avocat affronte celles des autres, l’homme fuit les siennes. Face à la haine, on peut se laisser couler, se battre, se claquemurer. L’avocat n’a jamais songé sérieusement à baisser les bras. « Je ne pourrais plus me regarder dans une glace. » Richard Malka est un combattant de la morale, mais pétri de morale. « Je me méfie simplement des vendeurs de biens et de vérités. » Il pense qu’on peut retourner les choses dans tous les sens, la conclusion reste la même : le courage est la clé de l’éthique. Les trois garçons de la famille Malka ont réussi socialement. Ils sont devenus ingénieur, médecin, avocat. Dans son atelier de confection parisien, le père travaillait dix heures par jour. On ne sait si le fils se souvient encore du bruit de la machine à coudre.
Traité sur l’intolérance, Grasset, 92 pages, 12 euros.
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