Un couple a vu son habitation faire l’objet d’une saisie immobilière en juin 2021. Faute de trouver un logement répondant à ses attentes, il l’occupe toujours, au grand dam de l’acquérante, Élodie Louette, qui veut y installer un cabinet de kinés.
15 juin 2021 : une maison de Moreuil est vendue sur saisie immobilière à la SCI Elben, qui projette d’y aménager un cabinet de kinésithérapie. Elle fait signifier par huissier un jugement d’adjudication, soit l’expulsion des anciens propriétaires.
28 octobre 2021 : la préfecture n’ayant pas accordé le concours de la force publique pour expulser le couple qui l’occupe, un commandement de quitter les lieux est remis aux occupants par voie d’huissier.
10 août 2022 : le couple n’ayant toujours pas quitté les lieux, le juge de proximité lui fixe une indemnité d’occupation de 875 euros.
21 octobre 2022 : l’avocat de la SCI Elben écrit à la sous-préfète pour demander de nouveau le concours de la force publique.
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C’est une jolie maison nichée au sein d’un lotissement quasi neuf, dans un quartier du sud de Moreuil en apparence paisible – mais quand même surnommé « Chicago » par les habitants, fruit d’une réputation tenace de coupe-gorge. Une maison qui fait l’objet d’un litige persistant entre ses anciens propriétaires et les nouveaux acquérants, la SCI Elben basée à Démuin et détenue par les époux Louette, Benoît et Élodie.
Connue pour être dirigeante du club de judo (son conjoint y est enseignant), cette dernière, masseuse-kinésithérapeute en exercice à Moreuil et à la recherche de locaux plus spacieux pour elle et ses trois confrères, en a fait l’acquisition à l’issue d’une vente aux enchères après saisie immobilière. Conclue le 15 juin 2021 pour environ 124 000 euros, soit près du double de la mise à prix initiale (64 000 euros), la transaction était assortie d’un jugement d’adjudication pris par le juge de l’exécution d’Amiens. Jugement qui vaut expulsion, selon l’article L322-13 du Code des procédures civiles d’exécution.
Plus de 15 mois plus tard, les ex-propriétaires de la maison, un couple et sa fille de 13 ans handicapée, occupent pourtant toujours ses murs. Ils devraient y rester encore quelque temps, puisque la trêve hivernale, qui a commencé le 1er novembre pour s’achever le 31 mars 2023, marque la suspension des procédures d’expulsion pour loyers non payés.
En difficulté financière de longue date – ancienne assistante maternelle, elle ne travaille plus depuis 2018, lui a retrouvé l’an dernier un CDD chichement rémunéré comme agent d’entretien des espaces verts de la Ville – les époux Duverne* galéraient pour régler les mensualités du crédit de ce logement qu’ils avaient fait construire en 2012. Et disent galérer dans leur quête d’un autre toit. « Avec le métier de mon mari, on est obligés de rester à Moreuil, voire à Morisel, et si possible dans une maison de plain-pied car il a des gros problèmes de genoux, explique Michèle Duverne. Mais on n’arrive pas à trouver. Ce n’est pas faute d’essayer. On nous a proposé une maison à 780 euros de loyer, mais en nous demandant un garant et deux mois de caution. On ne peut pas sortir tout cet argent. »
Tout comme ils ne peuvent pas « sortir » les 875 euros d’indemnité d’occupation fixés par le juge de proximité depuis août 2021. « On a déjà 390 euros à payer dans le cadre du remboursement de notre crédit à la banque. Ça ferait presque 1 300 euros par mois alors que mon mari gagne dans les 1 200 euros. Ce n’est pas possible ! »
Dans cette affaire qui ressemble à celle de Fressenneville, où une propriétaire reste à la porte de sa maison à cause d’un locataire squatteur, le prochain épisode est donc maintenant programmé au 1er avril 2023. À moins que l’assistante sociale de la Maison départementale des solidarités et de l’insertion (MDSI) de Moreuil, avec qui Michèle Duverne est en lien régulier – « je dois encore la voir ce lundi » – et avec qui elle a validé un dossier de surendettement, n’arrive à la convaincre, elle et sa famille, d’intégrer un logement social. Même un appartement.
*Les noms et les prénoms ont été changés.
L’avocat de la SCI Elben dit comprendre « la gravité de la situation » du couple Duverne. « On est conscients de l’aspect social de ce dossier, notre intention n’est pas de jeter à la rue des gens en détresse. Mais je ne connais pas de cas de familles expulsées qui restent sur le trottoir pendant des mois. Là, on se retrouve face à des personnes qui occupent un logement sans droit ni titre, qui le consomment gratuitement, et qui ne saisissent pas les nombreuses mains qui leur ont été tendues », déplore-t-il.
« Leurs exigences élevées, qui ne correspondent pas à la réalité de leur situation de précarité » ont le don de l’agacer. Tout comme « l’incapacité de l’État à faire appliquer une décision de justice qui remonte à plus d’un an. Qu’il n’y soit pas parvenu avant la trêve hivernale 2021, on s’y attendait, on connaissait les risques. Mais depuis avril 2022, il y avait sept mois pour trouver une solution… Et on en est toujours au même point. C’est fou. » En désespoir de cause, il a adressé un courrier pour s’en émouvoir à la sous-préfète de Montdidier (qui a changé depuis, Laurence Lecoustre succédant à Valérie Saintoyant…) le 21 octobre. Sans réponse à ce jour.
Nous avons également sollicité la préfecture, qui nous a assuré que « l e dossier est suivi de près, deux réunions de la commission de prévention des expulsions se sont tenues ». Et que « les occupants nécessitent une prise en charge particulière », sans davantage de précisions. Elle a aussi confirmé que « l’expulsion devra intervenir à l’issue de la trêve hivernale ».
La préfecture serait par ailleurs sur le point de proposer à la SCI Elben une indemnisation. Ce que l’autorité publique ne nous a pas confirmé. Le couple Louette a obtenu de son côté un report d’échéance de son prêt.
© Rossel & Cie – 2022
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