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Il est 15 h 30, ce jeudi 5 janvier à Lascaux, en Corrèze. Aux abords du lieu-dit de la Borderie, des barrières bloquent la route à la circulation. L’arrêté municipal annonce un bouclage du village jusqu’à 23 heures. La raison ? La reconstitution du meurtre présumé de Lesline Ravel, survenu dans la nuit du 30 au 31 décembre 2018. Comme un signe évocateur des difficultés des magistrats, les barrières ne seront finalement enlevées qu’à 3 heures du matin.
Vingt-six gendarmes renforcés par des équipes de réservistes sont déployés autour des habitations de la Borderie, lieu de la disparition de cette mère de famille, âgée de 39 ans au moment des faits. Quatre ans après, le dispositif rappelle, dans une moindre mesure, celui mis en place quand les gendarmes avaient encore espoir de la retrouver vivante. « Je ne sais pas ce qu’ils espèrent retrouver cette fois-ci », s’interroge un habitant du Cros, dont la maison domine ce carré de verdure qui fait l’objet de toutes les attentions.
Les gendarmes n’espèrent pas, quatre ans après sa disparition, découvrir trace de vie de la caissière de supermarché d’Objat. Ils en sont même certains : son corps n’est pas ici. En janvier 2019, des battues avaient été organisées dans les bois, les puits et les étangs avaient été sondés, les hélicoptères avaient survolé les vergers de pommiers parfaitement alignés. À l’époque, seuls la voiture de Lesline, coincée contre une souche d’arbre, son pantalon et une serviette hygiénique près d’une mare, avaient été découverts.
Le véritable enjeu de cette reconstitution est de savoir si Hervé Ravel, mis en examen pour meurtre sur conjoint, a livré des aveux crédibles, avant de se rétracter. En mai 2021, ce Corrézien issu d’une famille très implantée à Lascaux, avait reconnu une dispute avec sa compagne, sur fond d’alcool et de désaccord sur le programme télé, le 30 décembre 2018. Celle-ci avait alors quitté le domicile en voiture. Il avait ensuite décidé de partir à sa recherche. Aux abords de la Borderie, dans un brouillard épais, il aurait reconnu les feux de la voiture de Lesline, et l’aurait rejointe. Mais la dispute aurait dégénéré. « Elle était cramée, je l’ai saisie au niveau du cou. Elle est tombée et s’est cogné la tête », avait-il alors déclaré. Des aveux formulés en présence d’un avocat, puis répétés devant la juge d’instruction.
Dans la foulée, le quadragénaire avait conduit les enquêteurs dans un bois à proximité, où le corps avait été soi-disant déposé. Mais on n’y retrouvera que des ossements d’animaux. À l’été suivant, le mis en cause s’était rétracté. « Tout ce que j’ai dit, c’était pour faire plaisir à l’enquêtrice ». Et après un an de détention provisoire, à la maison d’arrêt de Limoges, Hervé Ravel avait finalement été libéré et placé sous contrôle judiciaire avec une interdiction de se rendre à Lascaux.
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Ce revirement donne à la reconstitution une couleur singulière, d’autant que les faits matériels n’ont jamais totalement corroboré les aveux du mari. Pour la défense, il s’agit de démontrer, grâce à ces éléments factuels, que les aveux ne tiennent pas. Pour le ministère public, au contraire, il faut montrer que ses déclarations se basent sur des faits bien établis que seul l’auteur du crime pouvait connaître.
Ce jeudi en fin d’après-midi, tout est donc mis en place pour recréer les conditions du 30 décembre 2018. Le Volkswagen Touran d’Hervé Ravel arrive sur une dépanneuse. La météo est aussi au rendez-vous : hasard du ciel, un épais brouillard tombe sur le village le soir de la reconstitution. « Comme le soir des faits. On n’y voyait pas à 10 mètres », se souvient un habitant du Cros, qui regarde les gendarmes s’activer depuis son jardin.
Pendant plus de 10 heures, Hervé Ravel collabore. « Il a répondu aux questions, il a mimé les gestes quand on le lui a demandé. Il a maintenu sa position, celle qui ne confirme pas ses aveux », expliquera, au lendemain de l’acte judiciaire, son avocat Me Benoit Zoungrana. Hervé Ravel, avait-il assez de force pour soulever et déplacer le corps de son épouse ? Était-il possible, à l’arrivée de son mari, que Lesline sorte de sa voiture par la porte conducteur alors que celle-ci était bloquée par une souche d’arbre ? Le fait que Lesline Ravel soit tombée dans la mare avant le début de cette ultime dispute, peut-il justifier la présence de microalgues retrouvées dans le Volkswagen Touran, dans l’hypothèse où son corps a été déplacé ?
Pour Me Michel Labrousse, avocat de la partie civile, 200 procès d’assises au compteur, « au vu des constatations de la police scientifique et des témoignages, mon sentiment est qu’il existe des indices graves et concordants qui font que ses rétractations me paraissent fantaisistes. Qui peut comprendre qu’on s’accuse d’un crime aussi grave sans raison ? ». Pour l’avocat pénaliste, au mois de mai 2021, l’armure d’Hervé Ravel aurait craqué sous le poids de la culpabilité. Le reste ne serait que stratégie de défense.
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Mais l’heure n’est pas encore aux plaidoiries. Le dossier est désormais entre les mains de la juge d’instruction de Limoges, qui doit encore attendre les rapports des différents experts présents sur place. Deux possibilités s’offriront ensuite à elle. Soit la magistrate estime que les charges sont insuffisantes et elle laisse l’affaire devenir un cold case. Les accusations contre Hervé Ravel sont alors abandonnées, mais pourront de nouveau être formulées en cas de nouveaux éléments apportés au dossier. Soit la juge estime que les éléments matériels (la présence de diatomées dans la voiture d’Hervé Ravel), le témoignage des voisins (qui assurent avoir vu « un véhicule ressemblant à celui d’Hervé Ravel »), le contexte de violences au sein du couple, et les aveux sont suffisamment plausibles pour ordonner un renvoi devant la Cour d’assises. Ce qui serait alors synonyme d’un procès sans corps, avec un accusé qui comparaîtrait libre. Et une possibilité d’acquittement. La décision est attendue dans le courant de l’année 2023.
Par Pierre Vignaud
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