Challenges Entreprise
Par Delphine Dechaux le 09.01.2023 à 14h00 Lecture 5 min.
Licenciements abusifs, discriminations, harcèlement moral… Les abus sont très fréquents dans les start-up, où le primat de la croissance fait oublier le droit du travail, dénonce Elise Fabing, l’avocate de Balance ta start-up, dans un entretien avec Challenges. La spécialiste du droit du travail appelle les salariés victimes d’agissements abusifs à rompre l’omerta et à préparer leur défense.
Elise Fabing, avocate au barreau de Paris, appelle les salariés victimes d’agissements abusifs dans les start-up à se défendre
Une épidémie de licenciements se répand dans la tech en France : dernière annonce en date, la suppression de 63 emplois chez le spécialiste du reconditionnement Backmarket. Alors que les conditions des salariés de la tech se durcissent, le téléphone d’Elise Fabing ne cesse de sonner. "Le 23 décembre, j'ai reçu cinq appels de salariés convoqués à des entretiens préalables. Les entreprises veulent clore l'année fiscale. A la veille de Noël, c'est très violent", raconte l'avocate de Balance ta start-up. Il ne faut pas se fier au doux sourire ni au calme de cette jeune femme de 39 ans, native de Strasbourg. Ses mots tranchent et pourfendent.
Cette fine lame du droit social constate ainsi que les startup sont des nids à précontentieux. "Dans les jeunes entreprises, les cas de harcèlement, de discrimination et de licenciements abusifs pullulent, pour plusieurs raisons. Cela tient au fait, d’abord, que la startup Nation est nulle en droit du travail. "Confrontés à des cas de harcèlement, les patrons de startup qui m’appellent ne savent absolument pas comment réagir", s’étonne l’avocate qui – bien qu’elle ne défende que les salariés – mène parfois des enquêtes internes dans les entreprises.
Le style de management de certains patrons-fondateurs fait aussi des dégâts. "Des entrepreneurs qui se prennent pour des gourous demandent une forte adhésion à leur personne, dans une atmosphère faussement familiale et paillettes. Les salariés ne comptent pas leurs heures, donnent tout à leur entreprise". Malheur à ceux qui osent s’opposer au gourou. "Ils sont jetés comme des malpropres et l’équipe a l’interdiction de les fréquenter".
Quand le vernis cool – babyfoot et apéros after hours – craque, la désillusion n’en est que plus cruelle. "Pour la personne licenciée, c’est la double peine : elle vit un deuil professionnel mais aussi personnel, car elle s’est créée une autre famille, avec des profils semblables au sien". La population des startup est particulièrement vulnérable. Très faiblement syndiquée, peu au fait de ses droits, elle compte beaucoup de "premiers de la classe" ayant pour réflexe de se remettre en cause plutôt que de prendre un avocat. De surcroît, dans le microcosme de la tech, les risques liés aux atteintes à la réputation entretiennent l’omerta.
"Les entrepreneurs, qui se fréquentent beaucoup, menacent les salariés de ruiner leur réputation s’ils osent attaquer", poursuit l’avocate. Une arme redoutablement efficace. Quant aux salariés qui ont reçu des actions ou des BSPCE (bons de souscriptions), ils ne sont pas épargnés. Certains sont même des cibles. "A la veille d'une levée de fonds, comme par hasard, vous êtes viré pour faute grave", explique-t-elle. Pour ne pas être eux-mêmes dilués dans le tour de table, des fondateurs se débarrassent cavalièrement des actionnaires salariés les mieux dotés en actions, en faisant jouer la clause, très répandue, du "bad leaver". Adieu veaux, vaches, cochons. Ceux qui ont lâché le beau salaire d’un grand groupe contre une promesse d’enrichissement se retrouvent alors comme Perrette dans la fable de La Laitière…
Ces abus se pratiquent dans un cadre légal peu favorable aux salariés de start-up. Voté en 2017, le barème Macron favorise énormément les jeunes entreprises – en faisant de l’ancienneté un critère clé. En deçà de quatre ans d’ancienneté, les indemnités sont si minces que la plupart des salariés ne pourront même pas s’offrir les services d’un avocat. Quant aux indemnités de harcèlement, elles sont plafonnées. Dans les cas de harcèlement moral, les entreprises sont condamnées, en moyenne, à 7.100 euros de dommages et intérêts, indique l'avocate féministe. Maigre compensation. D'ailleurs, Elise Fabing n’accepte elle-même qu’un tiers des dossiers en provenance des start-up. Très marquée par une affaire qui l'a incitée, à ses débuts, à se spécialiser en droit du travail – elle ouvrit alors les yeux sur le "rapport très déséquilibré en faveur des entreprises" - l'avocate ne fait pas d'exception pour les dossiers dont elle fait un combat politique, comme l’affaire de harcèlement sexuel à l’agence Braaxe. Elle vient d’emporter une manche contre le patron accusé de violences sexistes, qui, espère-t-elle, pourrait faire jurisprudence.
Face aux employeurs abusifs, le combat, inégal, n’est pas perdu pour autant, estime toutefois la championne des salariés. Elise Fabing invite ceux-ci à "susciter l’écrit autant que possible" et sous toutes ses formes : textos, mails, tchat, messages sur Slack… Depuis 2020, il est également permis d’enregistrer une conversation à condition que ce soit "proportionnel et légitime", rappelle-t-elle. Les témoignages de tiers – collègues, clients – peuvent aussi compter. Des conseils que l’avocate a réunis dans un Manuel contre le harcèlement au travail, qu'elle a écrit et conçu comme une "trousse de secours" à l'usage du salarié.
Bien conseillés, les salariés peuvent aussi jouer des failles de la start-up Nation. Car beaucoup de jeunes sociétés ont établi des contrats de travail très mal ficelés. Les salariés peuvent par exemple plaider avec succès la nullité de la "clause jour" et obtenir d'importantes compensations. "Je viens de faire une demande de rappels d'heures supplémentaires pour 700.000 euros. L'entreprise a transigé à 500.000". Même dans une start-up, le vent tourne parfois en faveur du salarié.
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