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Créé par la loi du 8 août 1962, le Gaec fête cette année ses 60 ans. Retour sur cette forme sociétaire si particulière avec Lionel Manteau, avocat honoraire au barreau de Compiègne, qui assiste à son évolution depuis des dizaines d’années.
Peu après la loi du 8 août 1962, le ministre de l’Agriculture Edgard Pisani avait dit que l’agriculture avait besoin de l’agriculture de groupe. Le Gaec devait être la locomotive de l’agriculture. L’ambition était de réunir des petits agriculteurs pour qu’ils aient globalement une structure plus grande. C’était un moyen d’éviter l’agrandissement des exploitations. Un moyen indirect car ce n’est pas l’agriculteur qui s’agrandit, mais un groupe d’agriculteurs qui vont avoir ensemble une structure intéressante où ils mettront leur travail en commun. La question qui était posée juste après la loi était de savoir si les agriculteurs allaient adopter cette formule sociétaire. Malgré des intérêts, le monde agricole n’a pas trop opté pour ce type de formule juridique. Il n’était pas prêt à s’associer. Le Gaec a donc vécu un début modéré.
Aux environ des années 1980 jusqu’à 2000, deux principes ont donné un coup de fouet au Gaec. Le premier concerne le fameux Gaec familial. C’est une sorte de dévoiement de la formule, car le Gaec familial ne réunit pas des exploitations mais repose sur une exploitation de la famille. Le Gaec devenait un outil de transmission entre les générations âgées et les jeunes générations. Cela a été un énorme succès qui ne s’explique pas par une évolution de la loi mais par le comportement du monde agricole qui s’est adapté en se saisissant de cette forme sociétaire.
Le deuxième coup de fouet est venu des agriculteurs locataires. Dans la loi de 1962, il était dit qu’un agriculteur qui est locataire peut constituer un Gaec et qu’il pouvait y apporter son droit au bail. Mais les bailleurs ne voulaient pas de l’apport au bail qui était conditionné à leur accord. De plus, s’il apportait son bail au Gaec, son titulaire perdait son droit au bail et c’est le Gaec qui en devenait le nouveau titulaire. C’est ce qui explique que l’apport du droit au bail n’a jamais été utilisé. Les locataires ont alors préféré la notion d’apport en jouissance, c’est-à-dire la mise à disposition de leurs biens loués. Au départ ce terme n’existait pas. Cela a facilité les choses en permettent à un locataire d’adhérer à un Gaec sans obtenir l’accord de son bailleur. Il fallait juste qu’il le prévienne. Cette pratique a également contribué à l’essor du Gaec.
Dans les années 1980-90 est apparu également un autre problème, qui n’était pas juridique et qui concernait le Gaec entre époux.
C’est lié à un dossier particulier où deux époux voulaient s’associer avec un troisième associé. Aujourd’hui, cela paraît normal. Sauf qu’à l’époque, le comité d’agrément a dit « halte-là, même s’il y a un troisième associé, deux époux ne pouvaient pas être en Gaec ». C’était le premier dossier de ce genre qui s’était présenté. Les époux ont fait appel de la décision et ont été jusqu’au Conseil d’État. Ce dernier a répondu que cela était possible car rien n’était dit dans la loi.
Il y a alors eu un débat entre les pro- et les anti-Gaec entre époux. La profession agricole n’en voulait pas. Et en 1995, la loi les a finalement interdits.
La profession a été assez rigide car pour elle, les Gaec sont faits au départ pour regrouper des exploitations. Cela n’a pas freiné le mouvement Gaec mais cette position devenait de plus en plus problématique. Je me souviens que j’avais assisté en tant qu’expert à un comité national d’agrément examinant un nouveau projet de Gaec entre époux. Car malgré l’interdiction de la loi, des gens continuaient à présenter des dossiers. Un notaire qui avait été présent au comité national d’agrément avait dit qu’il n’était pas logique que le comité refuse des Gaec entre époux, alors que des Gaec entre hommes étaient agréés. Après cela, un autre texte de loi est intervenu pour interdire les Gaec constitués entre deux personnes vivant maritalement.
Tout cela ne tenait pas compte de l’évolution sociétale. Il y a eu des décisions qui interdisaient la constitution de Gaec où un associé avait 10 % des parts et l’autre 90 % alors que cette interdiction n’était pas inscrite dans la loi. Les comités d’agrément étaient devenus rigides. Et à chaque fois que les affaires partaient au Conseil d’État, les comités se faisaient débouter. Je me souviens aussi d’un projet de Gaec où il y avait un agriculteur qui avait 12 heures de cours par semaine en tant que professeur. On lui avait interdit au motif qu’en Gaec, les associés doivent travailler uniquement dans la structure. Avec ces incohérences, la situation devenait difficile.
Les différents problèmes ont donné naissance à la loi d’avenir agricole de 2014. Elle a modifié l’objet des Gaec en considérant que certains associés pouvaient être dispensés temporairement d’y travailler pour arrêt maladie par exemple et sous visa du préfet. La loi d’avenir a également considéré qu’une personne, avec l’accord des autres associés, pouvait avoir une autre activité à l’extérieur d’une durée maximale de 536 heures par an.
La loi a également modifié la procédure d’agrément des Gaec. La décision revient désormais au préfet. Le comité départemental d’agrément ne rendant plus qu’un avis.
Une loi de 2002 a fini par reconnaître les Gaec entre époux. Mais c’est la loi de 2014 qui a clos la question en reconnaissant le principe de transparence aux Gaec entre époux (NDLR : principe selon lequel les associés de Gaec ont des droits fiscaux, sociaux, économiques auxquels ils auraient pu prétendre s’ils étaient installés chacun à titre individuel). En 2002, le Gaec entre époux n’avait pas la transparence, notamment au titre des aides de la Pac. Une directive européenne a précisé les choses et a exigé certaines conditions. La France a alors décidé de s’y adapter en adoptant la loi d’avenir de 2014.
Le Gaec a toujours ce plus par rapport aux autres sociétés qu’est la transparence économique. Et comme aujourd’hui, les aides européennes ce n’est pas rien, les Gaec conservent un certain intérêt. Il ne faut pas oublier que, malgré tout, le Gaec a été un point d’évolution des difficultés du travail en agriculture. Il a permis aux agriculteurs d’avoir des conditions de travail améliorées en s’associant avec un autre agriculteur. Il ne faut pas le minimiser, surtout en élevage.
Le Gaec permet d’assurer une certaine maîtrise, une diminution de la pénibilité du travail agricole. Quand on est deux, on peut plus facilement trouver des solutions. J’y crois toujours. Mais le Gaec aura toujours sa place, peut-être dans une moindre mesure, même dans une nouvelle agriculture dont on n’apprécie pas encore sa forme.
Les Gaec peuvent poser des problèmes en relations humaines, notamment en famille, et ça, ce n’est pas codifié par la loi. Les familles se disent qu’il n’y a besoin d’écrire et que l’oral suffit. Davantage de choses sont prévues entre tiers.
Aujourd’hui, on en a tellement pris conscience qu’il y a le fameux Gaec à l’essai. C’est une formule juridiquement très compliquée. On essaye de bosser ensemble et si ça ne va pas, on s’en va, sans que cela entraîne de conséquences.
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