La justice française n'a pas fini son histoire des procès du terrorisme – France Culture

Jusqu’à 18 ans de prison pour les accusés, tous déclarés coupables, le verdict est tombé dans le procès de l’attentat de Nice. Procès suivi par de nombreux chercheurs de l’équipe ProMeTe. Sandrine Lefranc et Antoine Mégie livrent leur regard et analyses croisées sur la spécificité de ces audiences.
La cour d’assises spéciale de Paris a prononcé ce mardi des peines de deux à dix-huit années de prison contre les huit personnes jugées depuis septembre au procès de l’attentat de Nice, qui avait fait 86 morts le 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais. Les cinq magistrats professionnels qui la composent ont reconnu coupables les huit accusés, des proches du chauffeur du camion bélier qui avait foncé sur la foule ou des personnes jugées pour trafic d’armes, et ont retenu la qualification d’association de malfaiteurs terroriste (AMT) contre deux d’entre eux. Les avocats de Mohammed Ghraieb, condamné à 18 ans de réclusion criminelle, ont annoncé qu’ils allaient faire appel de la décision.
> Lire le compte-rendu de Florence Sturm
Dans le box, un grand absent, Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Le 14 juillet 2016, ce Tunisien de 31 ans a foncé sur la foule réunie pour le feu d’artifice sur la promenade des Anglais à Nice, avant d’être abattu par les forces de police. 86 personnes, dont 15 enfants de moins de 16 ans, ont été tuées, plus de 450 autres blessées physiquement. Au cours de l’audience, de nombreuses parties civiles, victimes et familles endeuillées sont venues témoigner des traumatismes persistants. Huit personnes étaient jugées au cours de ces soixante jours d’audience, sept présents, dont une femme et un homme détenu en Tunisie. Les juges d’instruction avaient renvoyé trois d’’entre eux aux assises pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, les autres pour des infractions d’ordre délictuelle, en lien avec la fourniture d’une arme retrouvée dans la cabine du camion. Le groupe État islamique avait revendiqué l’attentat, revendication jugée « opportuniste » par les enquêteurs.
Au-delà de cette accusation d’association de malfaiteurs terroriste, qui traverse la plupart des procès d’attentats de ces dernières années, d’autres spécificités et d’autres questionnements sont apparus lors de celui de Nice.
Sandrine Lefranc, directrice de recherche au CNRS, politiste, sociologue à Sciences Po Paris, et Antoine Mégie, enseignant chercheur à l’université de Rouen en science politique, tous les deux membres de l’équipe pluridisciplinaire ProMeTe, qui s’organise autour de plusieurs projets de recherche financés par la mission Droit et Justice depuis maintenant 2020, les décryptent pour France Culture.
D’emblée, et peut-être même avant l’ouverture du procès, on s’est interrogé sur sa dimension, la qualification terroriste.
Antoine Mégie. Chaque procès renferme ses spécificités. Par exemple, on parle de l’attentat de Nice, jugé à Paris devant une cour d’assises spécialement composée. Cela renvoie à la spécialisation de la justice antiterroriste en France, ce qui a posé, dans le cas de la préparation de ce procès énormément d’interrogations, notamment pour les parties civiles. Beaucoup ne comprenaient pas pourquoi, alors que l’attentat avait eu lieu à Nice, les audiences allaitent se tenir dans cette salle construite spécifiquement pour “les procès historiques du terrorisme” qui ont débuté en septembre 2020 avec celui des attentats de janvier 2015. Une première question donc sur la légitimité de la justice antiterroriste à organiser ce procès à Paris, au sein de la cour d’appel.
Sandrine Lefranc. Au regard du procès des attentats du 13 novembre 2015, on peut évoquer la difficile qualification de l’acte. En l’occurrence, on aborde tout de suite le cœur de l’affaire, parce qu’il y a ici quelque chose qui relève du terrorisme. De toute évidence, oui, si on s’en tient au droit. En l’occurrence, un acte de terreur, en tout cas la volonté de terrifier un public et un public indifférencié.
Et si j’y ajoute cet élément qu’apportent les sciences sociales, c’est par ailleurs un acte de terreur, au sens d’un acte de violence à des fins de terrorisation d’une population indifférenciée. Là, on touche à une autre spécificité du procès de l’attentat de Nice, puisque la cible est constituée de familles, D’enfants, des Français de toutes classes sociales, des étrangers…
Je relève néanmoins un petit manque, toujours dans ma définition de sciences sociales, où le terrorisme est un acte qui vise l’État, qui dit quelque chose à l’État, qui intervient dans un duel violent avec un État. Autrement dit, qui revendique une finalité politique. Dans ce procès, on a du mal à qualifier cet aspect politique et la radicalisation religieuse mise en avant par les acteurs judiciaires. Ces deux éléments là, concernant Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l’auteur des faits, sont assez difficiles à établir. On leur court après, on les attrape et aussitôt ils filent ! Je pense donc qu’il y a une difficulté liée à ce que l’on construit aujourd’hui depuis cette scène judiciaire spécialisée comme étant un acte de terrorisme et notamment de la part du PNAT, le Parquet national antiterroriste, ce besoin de connecter cet acte terroriste à une radicalité religieuse. Cela fonctionne plus ou moins bien.
Antoine Mégie. C’est aussi le résultat, finalement, de ce que l’on va appeler une politique pénale, qui a, depuis 2015, connu de profondes modifications. Qu’est-ce qu’un attentat ? Comment qualifier un attentat de terroriste ? Or, il s’avère qu’en France, et encore plus depuis 2015, avec cette construction du Parquet national antiterroriste comme figure centrale de l’expertise, ce n’est pas le politique qui définit en premier lieu un acte de terrorisme. Certains hommes politiques ont tenté de le faire. Le ministre de l’Intérieur est venu quelques heures à peine après l’attaque à la préfecture de police de Paris, déclarer qu’il s’agissait d’un attentat. Mais cela a produit des ambiguïtés et provoqué un débat sur la légitimité du politique. Dans le cas de Nice, c’est bien le président de la République qui livre dans la nuit une déclaration politique en ce sens.
Le PNAT se saisit aussi le soir même, pour enquêter et finalement déclarer que cet acte est bien un attentat terroriste, ce qui sera confirmé par les juges d’instruction. Mais à chaque étape des débats ont eu lieu sur la dimension terroriste. Une telle qualification se fait à partir de toute une série de critères qui ont été exposés en particulier au moment du réquisitoire du PNAT. Mais les critères juridiques ont parfois du mal à être appliqués. Il y a de ce point de vue souvent une ambiguïté dans les actes commis ce qui est le cas dans l’attaque de Nice. Tout acte de violence où l’on trouve des traces d’une forme de radicalisation de la part de l’auteur ou de l’environnement de l’auteur a tendance à conduire les autorités judiciaires mais aussi politiques à qualifier cet acte de terrorisme. Surtout dans le contexte de 2016, très particulier après une série d’attentats qui ont déjà touché la France. Et effectivement, le soir du 14 juillet, vu les conditions, vu le nombre de victimes, vu la « guerre contre le terrorisme » déclarée par le gouvernement, cet acte sur la promenade de Nice représente très vite un acte de terrorisme.
Un terrorisme que l’on sous-entend forcément djihadiste, islamiste ?
Antoine Mégie. À cette époque, quand on parle de terrorisme, on ne parle que de la question du djihadisme, bien évidemment. Dans ces conditions, une connexion automatique s’opère autour des éléments qui vont définir ce qu’on appelle une radicalisation djihadiste, même si elle est extrêmement artificielle pour certains des accusés, voire totalement inexistante pour d’autres. Tout acte de violence est ainsi abordé par sa possible dimension terroriste plus précisément sous le spectre du djihadisme international.
Sandrine Lefranc. Cette recherche des menus indices de la radicalisation, dans le cadre de ce procès en particulier, tourne à vide. D’une certaine manière, je pense notamment à cette différenciation entre l’index qui montre Dieu et le majeur qui insulte (sur plusieurs photos des accusés montrées à l’audience, NDLR). On a eu de longs débats sur ce qu’étaient dans ce procès, ces signes qui pouvaient rattacher des auteurs à une intention, à une finalité religieuse et qui montre la persistance d’une compréhension du terrorisme assez défaillante à mon sens.
L’auteur, grand absent du procès, fera l’objet d’une étude à part entière durant une semaine dans ce procès. Mais le camion est aussi souvent venu incarner l’acte.
Sandrine Lefranc. Comme un acte sans auteur, un peu comme une construction imaginaire. C’était très frappant quand on interrogeait un autre des accusés, Chokri Chafroud, au sujet justement du fantasme du camion destructeur qui était présent dans ses échanges avec l’auteur du massacre.
Antoine Mégie. Le camion est d’autant plus important qu’il permet, pour l’accusation, de faire le lien avec le répertoire d’actions des groupes terroristes djihadistes. Le camion est une arme qui produit par ailleurs des effets très concrets et spécifiques. On a parlé de blessures de guerre après les attentats de janvier et novembre 2015 avec l’utilisation de kalachnikov. À Nice, on évoque d’autres blessures, non moins terribles du fait du mode opératoire. Pour l’accusation, ce même mode opératoire fait le lien entre l’auteur et l’inspiration de la propagande djihadiste. Dans cette lecture, l’utilisation du camion est donc un moyen de justifier la dimension terroriste de l’attaque et plus globalement, dans un deuxième temps, l’Association de malfaiteurs terroriste pour certains des accusés présents.
On parle donc d’un attentat inspiré et non plus d’un attentat projeté.
Sandrine Lefranc. Oui. À défaut d’avoir pu prouver la légitimité et la vraisemblance de la revendication par le groupe État islamique, on en revient à l’idée d’une consigne liée à un mode opératoire spécifique et mise en œuvre par Mohamed Lahouaiej Bouhlel. L’instrument devient la preuve d’un rattachement au groupe État islamique et donc, là encore, d’un projet de radicalisation, dans ce schéma idéologique utilisé par le Parquet.
Antoine Mégie. C’est très classique finalement de se focaliser sur l’approche dite stratégique de l’attentat. Dans les années 80, on parlait des voitures piégées pour ETA, une bombe dans un pub, c’était l’IRA, des bombes dans des poubelles, avec des clous, des vis, les services analysaient cela comme la marque du GIA. Cela fait partie de l’approche stratégique du terrorisme de la part des services de sécurité et des autorités judiciaires.
Un grand absent dans le box et deux groupes d’accusés, « les Albanais » soupçonnés d’avoir contribué à fournir une arme et trois autres hommes poursuivis pour association de malfaiteurs terroristes. Un avocat a parlé d’un procès dans le procès.
Sandrine Lefranc. Un avocat l’a dit et on a même entendu évoquer de manière très claire l’idée qu’on avait là, à la fois un procès correctionnel concernant ce trafic d’armes lié à un trafic de drogue pour “le groupe des Albanais” et d’autre part un procès pénal lié à un partage d’intention – et en tout cas la possibilité pour certains des accusés de connaître sans tout à fait connaître l’intention de l’auteur en raison de leur proximité avec. Nous sommes donc face à deux groupes très distincts, à des connexions pas si claires à établir.
Antoine Mégie. La mort de l’auteur de l’attaque conduit à parler durant plusieurs journées d’audience de ce fantôme. Situation déjà vécue notamment durant sur les procès Merah ou ceux des attentats de 2015. L’évocation de ces fantômes est aussi un moyen de définir une partie de l’association de malfaiteurs terroristes pour les accusés qui eux sont présents.
Par ailleurs, la tension entre différentes affaires dans l’affaire n’est pas spécifique à Nice. On a pu voir dans le cas du procès des attentats de janvier et de novembre 2015, de tels effets propres aux enquêtes de l’antiterrorisme. Concernant par exemple la filière des armes pour le procès des attentats de janvier (jugé à Lille dans un procès correctionnel), ou pour le procès V13 à propos de la très forte porosité entre les attentats de Paris et de Bruxelles.
Dans le cas de Nice, comme du procès des attentats de Toulouse ou de janvier 2015, le volet des armes est un enjeu pour savoir s’il y a association de malfaiteurs simple ou association de malfaiteur terroriste. Cette inculpation des accusés par les armes est un classique des procès terroristes et pose constamment de nombreuses questions soit d’interprétation jurisprudentielle de l’AMT soit sur l’efficacité même des enquêtes anti-terroristes pour remonter les filières d’armes.
Deux lieux aussi pour un même procès filmé pour l’histoire : la grande salle spécialement construite dans l’ancien palais de justice de Paris et une salle spéciale à Nice.
Sandrine Lefranc. Nous y sommes allés. Je vais d’abord partir de l’exposition d’un point commun entre le procès des attentats du 13 novembre et ce procès de l’attentat de Nice. Ils ont en commun de mettre au cœur de la procédure les victimes, les parties civiles, avec des formes très classiques et d’autres inusitées en droit pénal. On a laissé un espace de parole à des parties civiles qui étaient là en tant que victimes et non pas en tant que témoins des faits. C’est déjà quelque chose d’important. Elles pouvaient venir exposer là des souffrances physiques ou psychologiques, le souvenir des leurs, avec des mots et des photographies.
Pour Nice, à défaut d’avoir un auteur présent, la victime détient un rôle central dans la construction d’un récit. Mais il existe aussi une très grande disparité de ces deux scènes. Au Palais de justice de Paris, la salle, quoi que très moderne, évoque la puissance de l’institution judiciaire. À Nice, je vais parler de mon ressenti personnel : Acropolis, ce centre des congrès, c’est quelque chose comme une scène de spectacle un peu décatie. Tout est engoncé, étouffé, plafond bas, des salles cernées par des rideaux épais et l’impression que les parties civiles, plus nombreuses qu’à Paris, plusieurs dizaines chaque jour, se retrouvent comme enfermées dans cette salle qui est dénuée de la majesté de la justice. Elles ont l’impression d’être tenues à part. Cela nous a frappés en interrogeant celles qui sont venues de manière assez assidue à Nice : elles ont l’impression que l’essentiel se passe à grande distance, qu’elles n’ont pas de contrôle sur grand chose. Nous avons constaté une assez grande frustration voire une assez grande colère.
Le procès oublié, disent aussi certaines parties civiles.
Antoine Mégie. Effectivement, beaucoup de parties civiles présentes à Nice ou à Paris évoquent ce sentiment et à cela s’ajoute le fait que les autres acteurs, notamment les avocats, tiennent également ce discours. Cette idée sur le procès de Nice était d’ailleurs déjà présente avant même son début. Le procès de Nice commence en septembre 2022, deux mois après la fin de celui des attentats du 13 novembre. Très vite, le procès de Nice devient donc le procès oublié.
Le calendrier judiciaire a des conséquences très concrètes, par exemple sur la couverture des médias. Les associations de victimes, elles aussi, se sont organisées sur des procès extrêmement longs et ont du mal à organiser un dispositif de suivi identique. Il n’en demeure pas moins que ce procès a eu lieu et a posé des questions importantes avec des effets très concrets sur certains enjeux notamment pour les parties civiles.
Sandrine Lefranc. Oui, à maints égards même, je pense que ce procès produit davantage. Il produit davantage, sans doute pour les parties civiles, notamment parce qu’il avait beaucoup d’étrangers, mais aussi une vraie diversité sociale. Mais je dirais qu’il y a surtout une formidable surprise dans ce procès. Dans un premier temps, c’est un véritable procès de l’État et plus exactement un procès des pouvoirs. Lors du procès des attentats du 13 novembre 2015, les associations et les victimes avaient déjà pointé beaucoup de défaillances : celles de la sécurité et de l’antiterrorisme.
Pour Nice, ce procès de l’État gagne en intensité à la fois du fait des responsabilités même de l’État, de l’apparente grande désorganisation de la réaction à l’attentat, mais aussi du fait de la forte accusation publique vis-à-vis du pouvoir local, la mairie de Nice dont le procès aura peut-être lieu spécifiquement et à part.
Anoine Mégie. Cette remise en cause de l’État au sein des procès d’actes de terrorisme, était déjà un leitmotiv observé, au procès Merah, au procès également des attentats de janvier dans le cas de l’attaque contre le journal Charlie Hebdo.
Lorsque les autorités politiques et judiciaires, les services de renseignements sont invités à venir témoigner à la barre, on retrouve toujours cette volonté d’interroger la responsabilité de l’État notamment du côté des parties civiles. Face à cela, les autorités judiciaires expliquent sans cesse que ce n’est pas le lieu. Considérant qu’un procès terroriste n’a pas pour but de définir la responsabilité de l’État, mais avant tout celle des accusés. Ce fut un peu différent pour le procès de l’attentat de Nice, car il y a eu un débat d’une journée sur cette question et qu’un autre procès intéresse beaucoup les parties civiles. Celui qui pourrait avoir lieu contre la ville de Nice pour ses possibles responsabilités. Il n’est pas encore certain qu’il ait lieu un jour.
Une seconde question fondamentale est venue engager la responsabilité de l’État au procès de Nice, celle du traitement des corps des victimes et du prélèvement des organes. Dans le cadre du procès de Nice, on a une cour d’assises spécialement composée qui a été extrêmement réactive et qui, alors que l’audience n’était même pas terminée, a pris des actes et des décisions qui ont engendré des conséquences très concrètes d’obligation de restitution.
C’est effectivement la question des autopsies et des prélèvements d’organes réalisés sur quatorze victimes, dont des enfants.
Sandrine Lefranc. En l’occurrence, Anne Gourvès, cette mère de famille a fait figure de lanceuse d’alerte, avec face à la cour d’assises, un discours d’une grande qualité rhétorique.
Certains corps ont fait l’objet de prélèvements d’organes, mais ces organes n’ont pas été restitués aux familles. Anne Gourvès est venue raconter un combat très long face une forme de violence d’État qu’elle a imputée plus largement à un assoupissement bureaucratique, une manière d’oublier le bon sens et de ce que l’on doit à l’homme. L’institut médico-légal, qui a cru vouloir bien faire en prévenant toute contestation, en montrant sa capacité à établir la cause de la mort, serait devenu violent du fait de la maltraitance qu’il impose aux victimes. Celles-ci ont compris qu’elles ont enterré des corps vides, qu’elles ont rendu hommage à des corps sans âme.
Dans un procès, c’était la première fois qu’un scellé prenait la forme, dite explicitement, d’un cœur ou d’un l’intestin grêle…
Cela a conduit à des excuses officielles du Parquet et à une restitution des organes prélevés.
Sandrine Lefranc. Oui, Anne Gourvès attendait d’ailleurs la semaine dernière qu’on l’autorise à aller chercher ces seaux blancs qui contiennent les organes de sa fille.
Les excuses du parquet restent aussi un événement exceptionnel. C’est énorme qu’un parquet prenne sur lui, par ailleurs, la faute d’une autre institution administrative et qu’il se livre à ce mea culpa public. Quelque chose est en train de bouger dans la justice pénale du fait de cette cette incrimination inattendue.
En 2023, d’autres procès se profilent devant des cours d’assises spécialement composes pour juger des dossiers de terrorisme, procès de « revenantes » et de « revenants ».
Antoine Mégie. Tous ces procès qualifiés d’historiques s’inscrivent dans une histoire qui débute à moyen terme avec les procès correctionnels de ce qu’on a appelé les revenants, les revenantes, puis les velléitaires de Syrie. On a dénombré à peu près 1 700 Français partis sur la zone irako syrienne. Dans ces procès à venir, on verra être jugés d’autres attentats commis sur le sol français mais aussi les femmes rapatriées actuellement des camps kurdes. On croisera certainement beaucoup moins d’avocats et de parties civiles, non pas qu’elles n’existent pas mais parce qu’elles sont en Syrie. Cela pose d’ailleurs la question de la dimension internationale des crimes qui sont jugés en France.
J’insiste sur le terme de revenantes parce que le traitement politique de ces revenantes a profondément changé depuis quelques mois. L’Élysée avait décidé qu’il était hors de question de rapatrier l’ensemble des femmes et les enfants retenus dans des camps. La doctrine du « cas par cas » ou appelé aussi « doctrine Le Drian » a été modifiée quelques semaines après l’élection présidentielle. Les femmes qui reviennent sont immédiatement poursuivies, soit pour association de malfaiteurs terroriste dans la plupart des cas, soit également pour crimes contre l’humanité, notamment vis-à-vis des Yézidis et des pratiques d’esclavage mises en place au sein du groupe État islamique. Ces procès vont encore mettre à l’épreuve la justice française. On va ainsi devoir poser la question des preuves de leur appartenance au groupe État islamique, de leur engagement dans les actions violentes du groupe État islamique et des condamnations. La plupart d’entre elles ont aussi des enfants nés sur place qui eux aussi vont l’objet d’un suivi important. La justice française n’a absolument pas fini son histoire des procès du terrorisme.
On entre donc dans une autre période et c’est peut-être là l’intérêt de penser cette historicité pour comprendre l’évolution et appréhender les nouvelles figures, que ce soit dans le box des accusés, mais aussi, depuis 2020, sur le banc des parties civiles. En effet, au-delà de la figure des accusés, c’est aussi la figure des victimes et des parties civiles dans les procès du terrorisme, qui s’est imposée depuis quelques années. Le procès de Nice vient encore de le confirmer.
Sandrine Lefranc. Sur ces procès “historiques” et ceux qu’on appellerait à tort les petits procès, je pense qu’il faut insister aussi sur cette connexion avec des affaires internationales très complexes qui, à mon sens, a été assez largement escamotée, notamment du procès des attentats du 13 novembre 2015. Par ailleurs, je trouve très intéressant aussi d’observer cette émergence un peu inattendue des violences de femmes, les “revenantes” en l’occurrence, de constater qu’au fond, sur diverses scènes en France et à l’étranger, l’institution judiciaire découvre très tardivement ces violences de femmes à l’encontre d’autres femmes, puisque l’esclavage des yézidis est en partie de l’esclavage sexuel. Quelque chose comme un déplacement plus ou moins doux ou accidenté de cet entendement judiciaire en même temps que d’une représentation sociale de qui commet les violences contre qui et de ce que l’on en fait.
Avec la collaboration d’Éric Chaverou
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