À la veille de la coupe du Monde, le foot français broie du noir et pourrait opérer son aggiornamento. Intouchable, la FFF fait l’objet d’un audit du ministère des Sports cherchant à éradiquer « toutes les violences à caractère sexiste ou sexuel ». Le président de la « Fédé » et sa directrice générale sont par ailleurs les cibles de témoignages visant leur compromission. Blast s’est plongé dans les coulisses du centre de formation de Clairefontaine et révèle de douloureuses affaires de violences sexuelles et de manipulations au sein de la plus prestigieuse fédération sportive du pays.
Dans une enquête publiée en décembre 2020, le journal l’Équipe braquait son projecteur sur des affaires d’agressions sexuelles au sein du centre de formation de la Fédération Française de Football (FFF), à Clairefontaine. Sans la nommer, l’enquête évoque l’entraineuse Angélique Roujas, soupçonnée d’agressions sexuelles sur des jeunes femmes pensionnaires du centre, parfois mineures.
L’affaire, dans laquelle trempent certains membres des plus hautes sphères de la « Fédé », a fait l’objet d’une enquête de la gendarmerie de Versailles. Blast s’est procuré l’intégralité des documents qui y sont relatifs : procès verbaux d’auditions, saisies, réquisitions, courriers, ou encore échanges d’emails internes. Grâce à ces documents et à de nouveaux éléments accablants, nous sommes aujourd’hui en mesure de faire la lumière sur des affaires d’agressions sexuelles sur des joueuses mineures et leurs ramifications au sein de la plus grande fédération sportive du pays. Celle-ci, comme à sa malheureuse habitude, fait preuve d’un mutisme et d’une inaction consternants.
Nous sommes aux alentours de 2003. Une jeune recrue du centre de formation de Clairefontaine, Lisa (le prénom a été changé), est en passe de devenir une des plus célèbres joueuses de football de sa génération. Elle a seize ans. Comme ses autres camarades de promotion, elle vit à l’internat du centre et allie cours au lycée et entraînement de haut niveau. À cette époque, Lisa est victime de problèmes aux ligaments croisés qui nécessitent une attention médicale particulière. Sa blessure est prise en charge par le kinésithérapeute du centre, Jean-François. Alors âgé de vingt-huit ans, il avait effectué un stage à Clairefontaine, avant d’y être embauché. Séance après séance, le kiné se rapproche de Lisa. Des années après, aux gendarmes, elle racontera : « Il s’occupait tout le temps de moi au moment où j’avais mes problèmes de ligaments croisés. Il est venu vers moi, moi je ne serais jamais allée vers cet homme. »
Une nuit, Jean-François emmène Lisa en voiture, se souvient-elle. Pour les jeunes, passer la nuit à l’extérieur de l’internat est strictement interdit par le règlement intérieur du centre de formation, sauf autorisation familiale. « J’avais dû dire ce soir-là que j’avais été chez ma tante », expliquera Lisa aux enquêteurs de la gendarmerie. La jeune joueuse détaille que finalement, le kiné et elle passeront la nuit dans une chambre d’un Etap Hotel. « Ça a été ma première relation sexuelle, j’avais seize ans », se souvient Lisa. « Cet homme a profité de moi. Avec lui, j’ai eu l’impression de me faire avoir. Une fois qu’il a eu ce qu’il voulait, il a mis fin à notre relation. Je ne savais pas ce que c’était d’avoir un petit copain à cette période. »
Traumatisée, Lisa signale ce qu’il s’est passé au supérieur du kiné, le docteur Franck Le Gall, aujourd’hui médecin des Bleus de Didier Deschamps. Jean-François nie les faits, aucune suite n’est donnée. Pourtant, « Angélique Roujas (son entraineuse) et la surveillante de l’internat sont au courant de cette liaison », assure la footballeuse. Au moins une autre joueuse de la promotion de Lisa a affirmé être dans la confidence de ce secret de polichinelle.
Contactée par Blast, l’ancienne surveillante d’internat raconte : « J’ai su ce qu’il s’était passé juste après. Lisa l’a mal vécu, ça a été brutal. Le docteur Le Gall, avait été prévenu. Il était plus à même d’agir que moi, une pionne de nuit. »
Loin d’être inquiété par sa « relation » avec une mineure dont il est de douze ans l’aîné, Jean-François a tranquillement continué son travail à Clairefontaine. Une fois sorti du centre de formation, sa prestigieuse carte de visite lui a permis d’être kiné au LOSC (Lille), préparateur physique pour l’équipe nationale du Congo et plusieurs joueurs des premières divisions européennes, puis d’être à la tête d’un centre de préparation pour athlètes amateurs et professionnels en Belgique. La «Fédé » étant ce qu’elle est, jamais le kiné n’a fait l’objet de poursuites ou d’une enquête. Il n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Peu après, Lisa, qui ne se « sent pas bien dans [sa] peau » et souffre de l’éloignement familial, va chercher une oreille attentive auprès de sa coach, Angélique Roujas, qui sent sa fragilité. Ancienne attaquante de l’équipe de France, elle bénéficie d’une aura particulière auprès des jeunes pensionnaires du centre de formation, pour qui elle est à la fois modèle et figure quasiment maternelle. Dans un témoignage à la police, Lisa racontera : « Rapidement, je me suis rendu compte que j’étais sa préférée. Elle était tout le temps vers moi, toujours présente avec moi. J’avais dix-sept ans, cela me plaisait bien d’être la préférée de la coach. Je me sentais flattée et je n’ai rien vu venir. La situation a évolué crescendo : Angélique est devenue de plus en plus importante pour moi, que ce soit dans la vie sportive comme personnelle. Je me trouvais effectivement dans un contexte confortable, mais je ne voulais pas que la barrière de l’intimité soit franchie. Pourtant, la barrière a été franchie et j’ai eu une relation sexuelle avec elle. » À l’époque, Angélique Roujas a vingt-neuf ans. Et Lisa de continuer : « Cela s’est passé chez elle à Chartres et non au centre de formation. C’était un vendredi soir. À cette époque là j’allais assez souvent chez elle les week-ends. J’étais seule avec elle chez elle. Il y a eu une première relation sexuelle, puis d’autres par la suite. Notre relation est devenue une véritable liaison dont j’étais complètement dépendante. Je sentais pour autant que cette relation n’était pas normale et Angélique ne voulait pas que cela se sache. La relation a duré presque 2 ans. Puis je me suis rendu compte qu’elle se rapprochait aussi d’autres joueuses. »
Après avoir pris ses distances avec la coach et terminé sa formation à Clairefontaine, Lisa est devenue une star de l’équipe de France et du Paris Saint-Germain, avec qui elle gagne la coupe de France. En parallèle, Angélique Roujas a tranquillement continué d’exercer en tant que coach des espoirs féminines du centre de formation de la FFF à Clairefontaine pendant neuf ans.
Fin août 2013, une rumeur circule dans les couloirs de Clairefontaine. Angélique Roujas pourrait être pressentie pour être adjointe au sélectionneur de l’équipe de France féminine. Des joueuses s’affolent et s’opposent à ce choix, annonçant qu’elles refuseraient la sélection si ce recrutement avait lieu. Lisa fait partie des Bleues à monter au créneau. Les joueuses reprochent à la coach d’avoir eu un comportement anormal impliquant des rapports sexuels à leur encontre du temps où elles étaient stagiaires à Clairefontaine.
Interrogée par le directeur de l’administration générale de la FFF en charge d’une enquête interne sur ses agissements, Angélique Roujas nie dans un premier temps tout en bloc. Elle changera finalement de version, reconnaissant avoir accueilli certaines pensionnaires le soir dans sa chambre, prétextant qu’il s’agissait du « seul endroit où elle pouvait recevoir les jeunes filles qui le désiraient ». Elle reconnaîtra aussi avoir reçu des filles à son domicile personnel le week-end, mais sans n’avoir jamais de relation intime, se décrivant elle-même comme une « mère de substitution » pour les joueuses.
L’enquête interne de la « Fédé », diligentée suite à la menace de grève des joueuses, montrera pourtant que « les joueuses concernées sont 5 ou 6, il s’agit de jeunes femmes qui ont été pensionnaires à Clairefontaine […] entre 2004 et 2006 », soit lors des trois années qui ont suivi l’affaire avec Lisa. Le 25 octobre, Angélique Roujas est licenciée pour faute grave, à savoir « relation intime déplacée avec des pensionnaires de l’INF Clairefontaine ». Rien sur le caractère forcé, la manipulation, ni le fait que certaines victimes soient mineures au moment des faits. La coach n’entame aucune procédure pour contester le licenciement.
Les statuts de la Fédération prévoient qu’une licence peut être « refusée par décision motivée et retirée à son titulaire pour non-respect de la réglementation administrative ou sportive » ou pour « faute contre la morale, l’honnêteté ou l’honneur » . Pourtant, une licence d’entraîneuse lui est accordée. Elle lui permet de devenir manager général de la section féminine du FC Metz.
Dans la foulée, le 30 octobre, Noël Le Graët, président de la FFF, envoie un signalement au procureur de la République de Versailles. « Je tiens à porter à votre connaissance des faits graves, qui nous ont été récemment rapportés et qui peuvent être constitutifs d’une infraction pénale », écrit-il. Plus loin, il précise : « D’anciennes pensionnaires de notre Institut National de Formation (INF) de Clairefontaine, qui entendent à ce jour garder l’anonymat, nous ont rapportées qu’elles avaient eu des « relations intimes » répétées, consistant notamment en des relations sexuelles, avec leur entraîneur, Madame Angélique Roujas. […] Ces pensionnaires étaient pour certaines mineures. »
On est perplexe devant les dix (trop) longues années et la menace d’une grève à la Fédération Française de Football pour signaler les agissements d’Angélique Roujas. Un membre de la direction de la FFF a confirmé à Blast que tout le monde était au courant, même au sein des employés les moins concernés par l’affaire.
À l’inverse, il ne faut que six jours au procureur pour agir. Le 5 novembre 2013, il ordonne à la section « recherches » de la gendarmerie de Versailles d’ouvrir une enquête préliminaire pour « agression sexuelle par personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction ».
Dans le cadre de l’enquête, qui dure un an et demi, la gendarmerie entend l’accusée, ses victimes présumées, des joueuses, ainsi que les membres l’encadrement de l’institut de formation et des cadres de la FFF. Les enquêteurs réquisitionnent également les conversations téléphoniques de certaines joueuses et d’Angélique Roujas. Blast s’est procuré l’intégralité de ces échanges et documents.
Lisa est entendue. C’est à ce moment qu’elle raconte aux enquêteurs avoir été victime, des années auparavant, des agissements de Jean-François puis d’Angélique Roujas. Devant la gravité des faits, les gendarmes lui proposent de porter plainte contre son ancienne coach. De toutes les victimes, elle est la seule à le faire.
Pour l’ancienne surveillante, si les joueuses refusaient de témoigner, c’est qu’elles étaient tenues par la peur : « Elles se disaient : si je parle, je perds ma place. Et en effet, c’est ce qui s’est passé. Certaines ont été mises à l’écart du centre ou n’ont pas eu leur place en équipe de France alors qu’elles étaient très talentueuses. »
Un ancien membre du comité exécutif de la FFF, qui a accepté de parler à Blast précise : « Lorsqu’elles sont très jeunes, on rentre une forme de culpabilisation dans la tête des joueuses. On leur explique qu’il ne faut pas faire de vagues pour ne pas faire de mal au football féminin, pour ne pas empêcher les futures jeunes filles de jouer, pour que le sport continue à exister et à se développer. »
Pourtant, certains et certaines acceptent de prendre la parole. Les témoignages sont accablants. Un manager déclare : « J’ai été contacté par téléphone successivement par six joueuses qui s’inquiétaient de savoir si la rumeur qui courait concernant la nomination d’Angélique Roujas à un poste d’entraîneur adjoint était réelle. […] [Une] fille s’est mise à pleurer au téléphone et m’a raconté son histoire. Elle m’a confié qu’à son arrivée au centre de formation de Clairefontaine elle avait souffert de cet éloignement familial et s’était donc rapprochée d’Angélique Roujas, qui était son entraîneur, mais que petit à petit cette proximité s’était transformée en une relation qui a abouti à des relations sexuelles. […] Elle m’a précisé qu’elle avait mis deux années à se remettre psychologiquement. » Il détaille ensuite le mode opératoire d’Angélique Roujas : « Sur les six jeunes filles, trois m’ont confirmé le fait qu’Angélique Roujas avait profité de leur fragilité liée à la vie au centre de Clairefontaine, isolées de leur famille, pour tisser une relation intime. Toutes m’ont rapporté la même manière d’opérer d’Angélique, qui arrivait à cibler les filles qui avaient un mal-être. Elle arrivait à établir une proximité avec et leur apportait de l’aide et du réconfort au quotidien, dans leurs devoirs et leur vie au centre. Une fois mises en confiance, elle obtenait leurs faveurs sexuelles. »
« C’est difficile de se méfier d’une femme. D’habitude, les violences sexuelles sont plutôt commises par les hommes », précise à Blast l’ex-surveillante. Elle se souvient d’un autre épisode : « En 2009 ou 2010, une pensionnaire avait découvert que la jeune qui partageait sa chambre avait une relation intime avec Angélique Roujas. Elle en a parlé entre copines. J’imagine que l’information a dû remonter aux encadrants, puisqu’elle a ensuite été écartée du centre. » L’enquête de la gendarmerie corrobore : « Elle avait remarqué qu’Angélique Roujas montrait beaucoup d’affection envers [XXXXX]. Soupçonnant une relation, elle a regardé dans le téléphone de [XXXXX] et a découvert que le numéro d’Angélique Roujas était répertorié sous le nom « ma petite charmeuse » et que lors du dernier SMS échangé Angélique lui parlait de ses yeux comme d’un océan d’amour. […] Une autre fois, elle est revenue inopinément dans sa chambre et y a surpris Mlle Roujas appuyée contre le lit de [XXXXX], tête contre tête. Par la suite, elle est devenue le souffre-douleur de l’entraîneur et a dû quitter prématurément l’INF. »
Au moment des faits, Angélique Roujas dispose d’une chambre au sein du pôle féminin du centre, qui lui sert également de bureau. Il est su de tous qu’elle y dort au moins tous les jeudis. « En l’absence de badges à l’époque, il n’existe aucune possibilité de vérifier les allées et venues de l’intéressée », explique un cadre du centre à la gendarmerie. C’est notamment dans cette chambre que, selon plusieurs témoins et victimes, auraient eu lieu les faits qui lui sont reprochés.
L’enquête préliminaire est clôturée le 8 avril 2015. La section « enquêtes » de la gendarmerie de Versailles conclue : « De l’enquête effectuée, il ressort que plusieurs liaisons homosexuelles ont été rapportées au sein de l’institut national de formation de Clairefontaine. Ces comportements sont notamment dénoncés en marge de mesures disciplinaires, d’expulsions ou de départs anticipés. Angélique Roujas, bien que soupçonnée d’avoir entretenu plusieurs liaisons avec des filles de différentes promotions, n’est visée que par la plainte de [Lisa] pour: AGRESSION SEXUELLE PAR UNE PERSONNE AYANT AUTORITÉ SUR LA VICTIME (faits remontant aux années 2005 à 2007). » Les gendarmes précisent : « À ce stade de l’enquête, quatre filles susceptibles d’avoir entretenu une liaison avec leur entraîneur ont été identifiées. » Trois auraient été mineures au moment des faits.
Deux mois plus tard, le 3 juin 2015, le procureur de la République, Vincent Lesclous, classe pourtant l’affaire. Le motif : prescription de l’action publique.
Isabelle Steyer, avocate spécialisée dans le droit des femmes et des enfants victimes de violences sexuelles, trouve la décision incompréhensible.
« Le délai de prescription, qui est de dix ans, commence à courir à dater de la majorité de la victime. Et même s’il est compté à dater des faits, ça ne fait pas 10 ans non plus. » Elle ajoute : « L’entraîneuse aurait dû être mise sous contrôle judiciaire. Et même si c’est très rare que cela arrive, il aurait pu poursuivre la FFF. Ne serait-ce que pour la non-dénonciation. Je trouve très grave qu’il n’y ait pas de poursuites alors qu’elle est soutenue et cachée par la « Fédé. Ils auraient aussi pu ouvrir d’autres informations judiciaires et prendre le temps de chercher d’autres victimes avec un juge d’instruction.»
Une autre source juridique proche de l’enquête ajoute : « Le parquet a un rôle politique, il n’est pas indépendant. Et Versailles est un tribunal assez politique. Il y’a énormément de dossiers classés sans suite à Versailles. Ça doit rester un territoire propre, il n’y a que très peu d’affaires sexuelles qui sortent. C’est un département avec peu de réponse judiciaire. » Et de préciser : « La sexualité des femmes homosexuelles est prise à la légère par certains milieux juridiques très classiques. De plus, cette affaire est symptomatique de la désinformation et de la malformation de certains juristes en matières de violences sexuelles. »
Aujourd’hui avocat général à la chambre criminelle à la cour de cassation, Vincent Lesclous a refusé tout contact et n’a donné aucune explication. On peut comprendre que cette affaire l’ennuie, mais ce silence interroge.
Après son licenciement, Angélique Roujas est recrutée comme manager générale de l’équipe féminine du FC Metz, tout juste promue en première division. Elle est publiquement présentée par le club comme une star, une pointure qui doit professionnaliser le groupe.
Au même moment, Lisa, qui apprend la nouvelle, est choquée. Pendant les auditions avec les gendarmes, elle fera part de sa discussion avec Brigitte Henriques. Cette dernière, ancienne coéquipière en Bleu d’Angélique Roujas, est alors secrétaire générale de la FFF, chargée du développement du football féminin : « Je lui ai demandé comment la fédé pouvait laisser Angélique prendre des fonctions à Metz. Elle m’a répondu qu’une enquête était en cours et que tant qu’elle n’était pas terminée, la « Fédé » ne pouvait rien faire. » Si. Elle pouvait retirer sa licence à Angélique Roujas, par exemple.
Blast s’est entretenu avec l’ancien entraîneur de l’équipe féminine du FC Metz. Il explique être à l’origine du recrutement d’Angélique Roujas, « à son détriment », en 2014. « Je n’étais pas au courant de ses agissements à Clairefontaine. Il se disait qu’elle était partie à cause de différents avec Gérard Prêcheur, à l’époque directeur du centre de formation. » Selon le coach, la manager bénéficiait à Metz d’un « contrat vraiment bien ». Peu après, elle devient également coach principale des U19 (moins de 19 ans).
L’idylle ne dure que quelques mois. « Avant la reprise du championnat, en 2015, tout a changé », explique l’ancien coach. Il précise : « Elle a commencé à me faire la misère. Elle me dénigrait devant les joueuses pour saper mon autorité. Elle harcelait les footballeuses, les insultait sans arrêt. » Il précise que « Roujas avait mis tous les dirigeants dans sa poche ».
Au sein du club à La Croix de Lorraine, l’histoire de Clairefontaine semble se répéter : « Roujas se présentait en victime auprès des joueuses, c’est comme ça qu’elle se rapprochait d’elles », se souvient l’entraîneur. Là encore, Angélique Roujas, quarante ans, développe des relations privilégiées avec certaines joueuses. Très vite, il se dit qu’elle entretient une liaison avec une défenseuse qui vient de souffler ses dix-huit bougies. Pas de quoi mettre l’appareil judiciaire en branle. Dans les couloirs, les rumeurs sur son passé à Clairefontaine vont bon train et certains la surnomment « la pédo ». En parallèle, elle se sépare des joueuses qui ne lui reviennent pas. « Les filles qui ne correspondent pas à Roujas, ou qui ne sont pas des proies car trop hétérosexuelles, sont virées », détaille l’ex-entraineur des Grenats. Pour se débarrasser de l’une d’entre elles, qui fait partie du club depuis sept saisons, Roujas et certaines de ses favorites auraient fait croire au reste du groupe qu’elle entretenait une relation avec le coach. Tous deux seront écartés.
Une autre joueuse fait les frais de l’arrivée de l’ancienne Bleue à Metz. Julia (le prénom a été changé), qui intègre les U19 de Metz en 2014, à dix-sept ans, raconte à Blast : « Je pensais avoir une carrière dans le foot. Mais Angélique Roujas est une personne qui fait en sorte que la vie ne se passe pas comme on le souhaiterait. Elle peut te détruire ta vie. » Elle continue : « Nous étions toutes mineures, à part une ou deux qui venaient d’avoir dix-huit ans. Très vite, on a vu du favoritisme envers une joueuse alors qu’elle nous parlait à toutes les autres comme à des merdes. » La joueuse, qui est au courant des rumeurs provenant de Clairefontaine, s’inquiète pour les plus jeunes du groupe et sa petite cousine de quinze ans qui est aussi dans l’équipe. En enquêtant, elle découvre la liaison que la coach entretient avec une des filles du groupe. Un soir, à l’entraînement, devant un favoritisme de plus en plus insupportable, elle craque. Une altercation avec Angélique Roujas s’ensuit. En privé, elle lui annonce être au courant.
Julia ne se sent pas inquiétée, sa place dans l’équipe première, qui est coachée par un nouvel entraîneur, lui a été promise à plusieurs reprises. Elle en est convaincue, elle en fera partie à la prochaine rentrée. À l’intersaison, comme c’est l’habitude au club, elle envoie un email à son nouveau coach pour lui signaler ses dates de congés, qu’elle lui confirme de vive voix. Elle tombe des nues lorsqu’elle reçoit, pendant ses vacances, un email dudit coach lui expliquant qu’elle n’est pas retenue pour la saison prochaine. En cause : elle ne se serait pas présentée à l’entraînement et n’aurait pas fourni ses dates d’absence. « J’ai appris d’un cadre du club que la décision ne venait pas de lui, mais d’Angélique », explique l’ancienne joueuse.
« Elle a mis la pression à d’autres filles qui savaient », ajoute Julia, qui précise : « Elle leur a fait la misère, les empêchait de jouer, ou les prêtait à d’autres équipes où elles n’avaient aucune chance de percer pour les dégoûter et les forcer à partir. »
Pour elle, le club lorrain, qui a couvert Angélique Roujas, partage la responsabilité : « Au FC Metz, tout le monde était au courant de pourquoi elle avait été virée de Clairefontaine. Les joueuses aussi bien que le staff. Dans le foot, c’est impossible que quelqu’un vous dise « je ne savais pas ». Tout le monde sait tout sur tout le monde. Quand on jouait dans des clubs dans toute la France, par exemple en Bretagne, tout le monde était choqué qu’on soit coachées par Angélique Roujas. Donc c’était impossible que les chefs du FC Metz ne savent pas. »
Contacté par Blast, le FC Metz a indiqué n’avoir « jamais eu connaissance de ces faits » et précise, concernant les départs, que « comme tout effectif de football, l’effectif de l’équipe féminine du FC Metz évolue régulièrement à chaque intersaison, c’est un mouvement naturel ».
Pour l’ancien coach, l’inaction du club messin et de la FFF face aux abus et aux violences sexuelles est symptomatique de l’intégralité du football féminin français : « Tout le monde est mouillé dans des affaires. C’est pareil à Clairefontaine. Dans tout le milieu, on retrouve toujours les mêmes deux clans, les hommes agresseurs sexuels et les femmes lesbiennes prédatrices. Tous savent ce que tous les autres font, si bien que c’en est devenu la normalité. Ils se tiennent entre eux, se protègent, personne ne parle. »
Une jeune footballeuse, passée par le FC Metz en 2019, a subi des traitements similaires à l’Olympique Lyonnais. Victime de harcèlement sexuel, le club propose tout d’abord 15 000 euros à la famille pour acheter son silence. Suite au refus des parents, l’OL, qui a l’ambition d’être un des plus grands clubs féminins au monde, renvoie la joueuse.
Son père, contacté par Blast, est furieux : « Chez les féminines c’est la jungle. On ne peut pas vendre du rêve à des gamines de haut niveau, les faire venir, puis les virer pour des affaires comme ça. Le club se dédouane de toute responsabilité et essaye d’étouffer l’affaire. On est abandonnés et piétinés ! » Déterminé à rendre l’affaire publique et à informer pour éviter que de tels faits ne se répètent, il interpelle régulièrement les grands noms du football féminin, français et international, sans succès.
Pour l’avocat de la famille, maître Slim Benachour, rien de tout ceci ne pourrait avoir lieu avec de jeunes joueurs masculins. « La loi, quelle que soit le sport, encadre les jeunes pousses mineures. Le droit est le même pour un garçon que pour une fille. Mais il n’est absolument pas respecté pour celles-ci. » Il continue : « Une académie doit assurer à un enfant tout ce que la loi requiert : santé, nourriture, sécurité et éducation. Un ensemble de contrats bilatéraux, qui sont blindés, doivent être signés. En cas de renvoi ou de non-renouvellement, ils obligent le club à un délai de prévenance, lettre recommandée, motif, s’assurer qu’elle est inscrite dans une école ou dans un autre club. Mais cela n’existe pratiquement jamais chez les filles, dans aucune des académies de football. »
Maître Benachour s’exaspère : « Selon la loi, en cas de problèmes, il y a des obligations d’enquête, de protection des jeunes. Après ce que ces filles ont vécu, il faut les mettre à distance, pas les sanctionner, ni leur faire subir de représailles ! La loi est censée les protéger, les choyer. Comment, si jeunes, voulez-vous qu’elles se développent dans ce genre d’environnement ? »
« C’est le produit d’un écosystème », affirme l’avocat. Il développe : « C’est le problème culturel du patriarcat, du paternalisme, de l’acceptation de la violence envers les femmes. Le problème que dans le sport, les limites morales ne sont pas fixées. Souvent, ce sont des gamines et des familles vulnérables sur le plan social et économique, qui viennent pour la plupart des quartiers, qui sont prêtes à tout pour que les enfants réussissent. Les coachs le savent très bien. Les jeunes sont donc corvéables à merci. Vous les prenez, vous les mettez où vous voulez, et vous les jetez. »
Il conclut : « La justice est une caisse de résonance de la société qui discrimine les femmes. Ce que ces filles ont vécu, c’est immensément plus grave qu’un tas d’autres affaires qui ont eu lieu dans le foot masculin, mais ça intéresse beaucoup moins les médias et la justice. »
En 2019, Angélique Roujas quitte le FC Metz pour des raisons obscures. Elle explique avoir « besoin de se ressourcer ». « C’est un choix personnel, je vais retourner dans ma région nantaise. Je n’avais plus cette force pour continuer », annonce-t-elle dans le Républicain Lorrain.
À quarante-quatre ans, elle devient responsable technique des jeunes et chargée des U19 féminines de la Roche-sur-Yon, club où elle semble avoir ses entrées, puisqu’après y avoir joué pendant six ans, elle y a inséré certaines des jeunes qu’elle trouvait prometteuses pendant sa carrière d’entraîneuse. Contactée par Blast, la coach n’a pas donné de réponse à nos sollicitations.
Une fois encore, et malgré son parcours, Angélique Roujas se retrouve en charge de mineures. Une fois encore, le football français marche sur la tête, et une fois encore, la « Fédé », qui n’a pas répondu à nos sollicitations, se tait.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Philippine Déjardin
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