Publié le 25/10/2022 à 08h30
Tiphaine Sirieix
S’il est une chose inhérente à chacune des victimes d’inceste, « c’est le renversement systématique de la culpabilité », glisse un avocat. Parce qu’elles ont peur de voir leurs familles éclater. Parce qu’elles ne veulent pas faire de mal à la personne qui leur en a causé. Parce qu’elles redoutent que leur agresseur soit emprisonné. « À cause d’elles. » Sarah (*) est l’une de ces jeunes victimes.
En mai 2021, la jeune Icaunaise âgée de 11 ans dénonce les atrocités qu’elle subit depuis des années. Sa mère l’accompagne à la gendarmerie pour déposer plainte. Un mois plus tard, son grand-père est « mis en examen pour viol incestueux », a indiqué, à l’époque des faits, le procureur de la République d’Auxerre, Hugues de Phily. Une information judiciaire a été ouverte et le grand-père est, depuis juin 2021, placé en détention provisoire dans l’attente d’un procès devant une cour d’assises. Il demeure à ce stade présumé innocent.
« Elle ne se rendait pas compte des atrocités qu’elle était en train de subir. Petit à petit, les actes devenant de plus en plus violents et récurrents, elle a pris conscience qu’à son âge, elle n’avait pas à subir ce genre de choses. Qu’elle était bien trop petite, physiquement et psychologiquement, pour avoir des relations sexuelles »
Mathias Darmon (avocat de Sarah)
La famille de la fillette a implosé à mesure que les mois se sont écoulés. La mère de Sarah s’est retrouvée seule avec ses trois enfants, isolée du reste de sa belle famille. « Elle a dû déménager, changer de ville. Sans soutien de quiconque du côté de la famille de son mari », regrette l’avocat de la victime, Mathias Darmon. La mère a changé de travail et scolarisé ses enfants loin de l’Yonne. « Il était hors de question de les recroiser, leur dire bonjour dans la rue, alors que la famille n’a pas répondu présente après la plainte. »
Sarah aurait été agressée des dizaines de fois par son grand-père. À la sortie de l’école, lorsqu’il venait la chercher, dans une salle de sport au sein de laquelle il dispensait des cours, lors de voyages à l’étranger. Des agressions sexuelles, fellations et viols. Jusqu’à cet après-midi de mai, où Sarah parle à sa mère. Une prise de conscience soudaine, « peut-être parce que ce jour-là, les actes étaient encore plus violents, peut-être parce que cela a duré plus longtemps que d’habitude ou peut-être, que c’était la fois de trop », considère Me Darmon. Une accumulation de « plusieurs mois et années de souffrances, de traumatismes physiques et psychologiques », pendant lesquels la fillette « était évidemment sous l’emprise d’un grand-père en qui elle avait une confiance absolue ».En gendarmerie comme en police, des salles ont été spécialement conçues pour recueillir la parole des enfants.
Les actes dénoncés par Sarah auraient été commis entre le 1er janvier 2018 et le 7 mai 2021, période de prévention retenue par le parquet d’Auxerre. Des faits incestueux singuliers, selon Philippe Stepniewski, l’avocat du grand-père, au regard de l’absence « de pathologies sociales, psychiques ou addictives, qu’on retrouve d’ordinaire dans ce type d’affaire ». S’il considère que les « débats ne doivent avoir lieu que dans des salles d’audience », le conseil éclaire sur le contexte particulier de cette affaire « compte tenu de la mort de son fils (le père de Sarah, ndlr.) pendant cette période ». Le mis en cause « a été au contact avec les enfants pendant des années et on n’a jamais relevé le moindre comportement incestueux avant cela », développe Philippe Stepniewski.
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Sarah, elle, « ne se rendait pas compte des atrocités qu’elle était en train de subir. Petit à petit, les actes devenant de plus en plus violents et récurrents, elle a pris conscience qu’à son âge, elle n’avait pas à subir ce genre de choses. Qu’elle était bien trop petite, physiquement et psychologiquement, pour avoir des relations sexuelles ».
Lorsque Sarah révèle les abus du grand-père, sa mère croit son histoire. La maman n’avait pas décelé de changement dans le comportement de sa fille. Spécialisé dans les crimes sexuels, le pénaliste Mathias Darmon a vu bien des familles « se déchirer. Des familles où il y a un affrontement : ceux du côté de l’agresseur présumé et ceux qui soutiennent la victime ». D’autres fois, encore, où l’enfant n’est pas cru. « Ce n’est pas dans la plupart des cas. Mais cela arrive que la famille n’aille pas dans le sens de l’enfant. On lui dit : “Mais tu racontes n’importe quoi. Mais de quoi tu parles ? Il n’aurait jamais fait ça. Comment est-ce que tu peux inventer ce genre de choses ?”. Cela est d’autant plus tragique et douloureux pour l’enfant, que de se retrouver dépossédé de ses repères familiaux. »
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Sarah est crue par sa mère, qui l’a très rapidement accompagnée à la gendarmerie. C’est un « courage immense de parler. Parce que dans de très nombreuses affaires de viols sur mineurs, les enfants ne déposent pas plainte tout de suite. C’est quelque chose d’enfoui pendant des mois et des années et puis, un jour, on décide d’y faire face. Sans parler de prescription, les preuves peuvent malheureusement s’éparpiller au fil du temps. » Après un dépôt de plainte de huit pages, Sarah passe un examen gynécologique. Le médecin conclut que les lésions observées seraient compatibles avec les déclarations de la fillette. S’ensuivent de multiples actes de procédure. L’audition des proches. La garde à vue du grand-père. Une perquisition à son domicile.
Des procès à huis clos. Statistiquement ordinaires, les dossiers de viol figurent parmi les sujets criminels les moins fréquemment couverts. Ils représentent pourtant près de la moitié des crimes jugés par la cour d’assises de l’Yonne. Si la publicité des débats est un des principes fondamentaux de la procédure pénale, le huis clos constitue une dérogation. Il est d’usage, pour les victimes de violences sexuelles, de demander un huis clos : les débats se déroulent sans la présence du public, et donc, de la presse. Le huis clos est de droit en cas de viol ou tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, si la victime le demande. Si elles ne le demandent pas, le huis clos ne peut être ordonné que si elles ne s’y opposent pas.
Avant les vacances d’été, Sarah est entendue par la juge d’instruction. Seule dans une pièce pendant trois heures, accompagnée de son avocat, face à la magistrate. Son avocat l’avait averti de la nature de l’entretien. Un vocabulaire sexuel sera employé et des questions plus précises, plus crues et plus affinées que lors de son audition par les enquêteurs seront posées. « La juge et la petite se sont tutoyées pendant l’entretien. La magistrate a employé les mots justes en lui indiquant que, si elle souhaitait, elle pouvait faire une pause. Et si elle ne comprenait pas un mot, qu’elle pouvait répéter ou reformuler. » Un entretien, en dépit de la bienveillance requise, douloureux pour la jeune fille. C’est avec « une grande pudeur », qu’elle a dévoilée à sa mère, aux enquêteurs et aux magistrats, son intimité. Pendant ses trois heures d’audition, « elle n’a pas pleuré. Elle est restée extrêmement pudique et n’a pas dévoilé ses émotions. »
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Aujourd’hui âgée de 13 ans, Sarah « est en colère. Touchée dans sa chair, elle est déçue par son grand-père, même si elle le montre peu », observe Mathias Darmon. Pour la fratrie, « il est hors de question de le revoir, tant il a engendré de mal autour de lui. C’est l’incompréhension. Ils se demandent comment il a pu faire ça à leur sœur. »
C’est toute une famille qui est dévastée.
Ils sont dans un état de santé compliqué
Sarah partage sa souffrance avec sa mère, son frère et sa sœur. Les victimes collatérales. « C’est toute une famille qui est dévastée. Ils sont dans un état de santé compliqué. » La mère et la fratrie se sentent coupables et « se demandent pourquoi ils n’ont rien vu. Pourquoi ils n’étaient pas là. Ils se posent beaucoup de questions et ont besoin d’en parler. Mais parler à leur maman ne suffit pas. » La sœur de Sarah et sa mère consultent un psychologue. Sarah, elle, n’a pas décidé d’en voir un. « Pas pour l’instant. Je pense que cela mettra un certain temps avant qu’elle ne comprenne les conséquences que les actes de son grand-père ont eues sur elle et, sans doute, la nécessité d’un suivi par une spécialité. Elle n’en ressent pas encore le besoin. Peut-être que ce sera le cas après le procès aux assises. Mais, déjà, le fait d’en avoir parlé, d’avoir été auditionnée par les enquêteurs et un juge, est une forme de thérapie. »
(*) : Le prénom a été changé.
Tiphaine Sirieix
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1 commentaire
Clément Mirton a posté le 25 octobre 2022 à 09h33
Juste pour info, une fellation, c’est un viol. Il y a pénétration d’organe sexuel. Que ce soit dans la bouche ou ailleurs, il y a pénétration, donc il y a viol.
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