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L’HÉRITAGE MAUDIT. L’ex-avocat de la famille Vasarely s’est replié dans son château en Haute-Corse, avec les tableaux réclamés par la justice.
Temps de lecture : 7 min
« Marron », c’est comme ça que Pierre Vasarely, l’unique petit-fils et héritier du célèbre peintre Victor Vasarely, appelle l’avocat Yann Streiff. « Marron » parce qu’il est celui qui va tenir la plume dans l’arbitrage de la succession qui va permettre de dépouiller de ses œuvres la fondation créée par ses grands-parents en 1971 afin de pérenniser l’œuvre du maître de l’Op art.
Yann Streiff est appelé à défendre Victor Vasarely contre Renault, en 1995. Streiff n’est encore qu’un jeune avocat présenté à la famille du peintre par l’intermédiaire d’un ami. Précédemment secrétaire de la conférence du barreau de Paris, Streiff s’est installé à son compte cinq ans plus tôt. Il avait 29 ans.
L’affaire qui oppose le peintre Vasarely au constructeur automobile n’est pas simple. D’abord parce qu’il s’agit de son ancien employeur. Le Hongrois, d’abord graphiste, a travaillé pour la marque, et le célèbre logo, qui fête cette année ses 50 ans, a été conçu par les Vasarely père et fils (Jean-Pierre, dit « Yvaral »), en 1972. La marque, qui a multiplié les achats d’œuvres d’art – dont des Vasarely – entre les années 1970 et 1980, se retrouve à la tête d’un véritable trésor artistique. Dont la gestion, selon Vasarely, laisse à désirer… Le peintre accuse en effet Renault d’avoir « endommagé ou perdu » certaines de ses œuvres, comme on peut le lire dans Le Monde en 1995. Une année faste, que Yann Streiff, le 11 décembre, va conclure par un coup d’éclat : l’organisation du hold-up de la fondation Vasarely.
À LIRE AUSSIAffaire Vasarely : l’artiste utopiste et ses rejetonsParce qu’en 1990, Claire, l’épouse de Victor, atteinte d’Alzheimer, décède. Sans sa moitié de toujours, Victor, qui vient de souffler ses 84 bougies, perd ses repères. Affaibli, il se retrouve placé sous tutelle d’État. C’est le moment où « les vautours », comme il les appelait par pressentiment, font leur apparition. Yann Streiff, tel le loup, entre dans la bergerie.
Retrouvez notre série Affaire Vasarely : l’héritage maudit
L’artiste utopiste et ses rejetons
Charles Debbasch, l’escroc savant
Yann Streiff, l’avocat marron
La belle-fille sulfureuse
En qualité d’avocat de la famille, il défend les intérêts des fils Vasarely, André l’aîné, Jean-Pierre le cadet, et leurs épouses respectives, Henriette et Michèle). Mais de l’autre, Streiff défend aussi ceux de la Fondation que préside désormais… cette même Michèle.
Or, au décès de leur mère, André et Jean-Pierre, qui savent que leurs parents ont procédé à des donations démesurées d’œuvres de leur vivant – notamment à la fondation –, comprennent soudain que leur part à eux s’est réduite comme peau de chagrin. Les deux « déshérités » se réveillent, et enragent.
Qui souffle alors qu’un arbitrage privé est possible, pour rééquilibrer la succession ? Charles Debbasch, l’ancien président de la fondation, destitué deux ans plus tôt par décision de justice ? Ou Michèle, elle-même, fraîchement nommée présidente de la fondation, conseillée par le notaire et l’avocat de la famille ?
Nulle certitude, sinon celle que Yann Streiff sera bien vite soupçonné d’être l’architecte de cet arbitrage. « C’est lui qui tenait la plume », nous assure Pierre, le petit-fils. Or, l’avocat ne « pouvait ignorer le conflit manifeste d’intérêts qui existait », comme le rappelait la cour d’appel lors de son procès. Streiff a en effet procédé seul, sans aucune intervention de l’État – nous sommes exactement dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 1995 – ni regard extérieur, à un arbitrage entre « deux parties aux intérêts opposés », les enfants et l’institution, « mais représentées en réalité par les mêmes personnes ».
Ce formidable tour de passe-passe aboutit à la rectification souhaitée : les deux fils et leurs épouses récupèrent l’intégralité des œuvres de la fondation. Comment ? En procédant à une évaluation, sans expertise, de la part du butin (en œuvres, à défaut de liquidités) qui revenait aux fils, puis par simple application de lois successorales. Sauf que les 290 millions de francs estimés devant revenir aux fils en 1995 (environ 62 millions d’euros aujourd’hui) dépassent la valeur des œuvres de la fondation, en raison de la décote de l’artiste à cette époque.
À LIRE AUSSIAffaire Vasarely – Charles Debbasch, l’escroc savantEn conséquence, les deux sites de la fondation, le musée architectonique d’Aix-en-Provence et le château-musée de Gordes, sont vidés de tout ce qui est transportable : 430 toiles, 798 études, 18 000 sérigraphies. Michèle empoche au passage une rondelette commission (15 % des revenus engendrés par son activité de la gestion des œuvres, 5 % forfaitaires, plus la récupération progressive et discrète de toiles) contractuellement signée avec les héritiers (toujours André et Jean-Pierre), qui viennent, grâce à elle, d’empocher le jackpot.
Streiff, qualifié de « sachant » dans cette opération de redistribution du magot, se fait alors payer en toiles. « J’ai simplement été entendu sur un point technique, car j’étais un expert du droit des fondations », se justifiera-t-il auprès de Mediapart. Trois mois après l’arbitrage, pour dédommagement, Streiff se voit remettre 87 œuvres historiques choisies par ses soins, dixit le petit-fils de Vasarely, plus « le bureau personnel de l’artiste », selon une « convention d’honoraires », pouvait-on lire dans Le Point en 2008, qui lui promettait « 10 % des sommes ou meubles recouvrés ».
L’avocat, que Michèle qualifiait d’« allié et bien plus » dans un courrier de 1999, repris par Mediapart, fut-il l’amant en robe noire de Michèle ? C’est ce qu’affirme Pierre Vasarely, prêtant mille amants à sa marâtre honnie.
Quelle qu’ait pu être la nature de la relation entre Streiff et sa cliente, l’arrêt de la cour d’appel de Paris casse cet arbitrage en 2014. La Cour de cassation le confirme vicié en 2015. Les œuvres dispersées doivent donc revenir dans le giron de la fondation, consacrée gardienne, par décision de justice.
En février 2022, la cour d’appel de Paris condamne Streiff à rendre définitivement les 87 œuvres dont la fondation a été consacrée gardienne. Il avait quatre mois pour s’exécuter.
Mais 46 des 87 œuvres n’ont toujours pas été localisées, Streiff ayant vendu la plupart des tableaux. Vingt et une sont récupérées in extremis, juste avant leur vente par Artcurial en 2013. Le « Monsieur S. » du catalogue, propriétaire, clame sa légitimité.
Et puis 20 ont déjà été vendues en 2000 à la célèbre marchande d’art parisienne Anne Lahumière. Spécialiste depuis 1963, avec son mari Jean-Claude, de l’abstraction construite et géométrique, la galeriste a, de plus, conquis des lettres de noblesse en devenant en 1999 la présidente de la Fédération européenne des associations de galeries d’art, puis membre du conseil des ventes (l’organisme de contrôle des commissaires-priseurs). Comment douter de sa bonne foi ? Simplement peut-être parce qu’Anne Lahumière a également été administratrice de la Fondation Vasarely… Problème : la galeriste de la rue du Parc Royal, dans le Marais, est décédée à l’âge de 82 ans sans avoir rendu les œuvres. Il faut désormais compter sur la coopération de son ayant droit, Diane Lahumière.
Mais surtout, si Yann Streiff, en 2000, vend ses précieux Vasarely à la galeriste, c’est qu’il nourrit le projet de s’offrir une ruine : un castelet en Haute-Corse, le couvent Santa Catalina, dans le village de Sisco. Pour ce faire, le 21 juillet, il fonde la SCI Santa Catalina. En rupture de ban de la famille Vasarely, l’avocat devenu propriétaire terrien va jeter « son dévolu sur la femme d’un riche industriel, Nicole Hirigoyen, fragilisée par les décès successifs de son époux et de sa sœur », peut-on lire dans l’ouvrage exhaustif de l’affaire, Le Pillage de Laetitia Sariroglou et Pierre Vasarely (Fage).
L’avocat entre en contact avec la veuve en 2011 et, quelques mois plus tard, il est déjà mandaté pour être le gestionnaire de son patrimoine en cas d’incapacité. Confiance à l’appui, l’argent de la veuve vers l’avocat va circuler notamment par le biais du château corse. Hirigoyen, supposée venir se soigner de sa dépression sur l’île, finit par entrer au capital de la SCI de Streiff, à hauteur de 29,58 %. Le manoir, les 27 hectares de terrain qui l’environnent, une chapelle, un couvent et une tour médiévale classée aux bâtiments historiques nécessitent moult restaurations. Nicole Hirigoyen y engouffre des sommes folles à la demande de son avocat, conseil… et actionnaire majoritaire.
Et comme toutes les bonnes choses ont une fin, Streiff tente de revendre le manoir, restauré en 2014. Hirigoyen s’y oppose. Fin de la lune de miel. En 2017, à nouveau, comme le reportait Corse–Matin, l’avocat avait le projet de mettre le couvent en vente pour la somme de 2,1 millions d’euros. Il butte encore une fois sur la résistance farouche d’Hirigoyen, de retour sur le ring. Car entre ces deux tentatives de vente, la veuve, requinquée de la dépression consécutive à la perte de ses proches, entame une procédure judiciaire contre Yann Streiff. Elle l’accuse d’abus de faiblesse. Et elle gagne.
À LIRE AUSSIPourquoi Yann Streiff, un avocat parisien, a été radié de l’ordreActe I, Streiff est condamné à trois ans de suspension par le conseil de discipline en décembre 2015 pour avoir profité de sa fragilité de façon à lui soutirer 1,6 million d’euros – ce que la presse va appeler « la petite affaire Bettencourt ». Acte II, Streiff se voit enfin et définitivement radier du barreau (après un soubresaut épique), en 2016, cette fois pour l’affaire Vasarely.
La SCI Santa Catalina a été placée en liquidation judiciaire en octobre 2019. En revanche, « Yann S, membre de Trip Advisor depuis avril 2016 », loue deux chambres d’un couvent surplombant la Méditerranée pour la modique somme de 176 euros la nuit aux particuliers désirant « un lieu calme pour vivre la Corse à votre rythme »…
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« Better call Saul » en version française ?
Un grand artiste, des femmes, des escrocs et des avocats pourris. J’ai adoré cette lecture.
Dire que c’est un avocat marron est insuffisant puisque c’est tout le controle et le régime des tutelles qui est marron, et sans recours possible.
Je l’ai personnellement vécu, à une autre échelle, bien évidemment.
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